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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Etzer VILAIRE, Les dix hommes noirs (poème). (1901) [2011]
Avertissement


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Etzer VILAIRE, Les dix hommes noirs (poème). Avec une notice biographique et littéraire de Dieudonné Fardin. Première édition, 1901. Port-au-Prince, Haïti: Les Éditions Fardin, 2011, 106 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté d'ethnologie de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti.

[19]

Les dix hommes noirs (poème).

Avertissement

Tout le monde sait quelle relation existe entre les phénomènes de Tordre politique et social et le mouvement des littératures et des arts. Certaines idées maîtresses d'une époque, certains états de l'âme qui se généralisent dans un pays, exercent sur l'esprit de ses écrivains une sorte d'animation irrésistible, qui se trahit par un ton général dominant dans les œuvres contemporaines, une source commune d'inspiration en rapport avec le trait caractéristique de l'époque et les conditions du milieu. Concevoir la possibilité d'une œuvre qui échapperait entièrement à ces influences fatales, ce serait rêver une vibration harmonieuse de l'air sans un choc qui la détermine, un rayon sans l'astre qui nous l'envoie, la formation d'une fleur sans une tige qui la porte.

Le poème des DIX HOMMES NOIRS porte, tout au fond des idées et de la conception, la marque du pays et du moment qui l'a vu naître.

Cette œuvre est peut-être la notation d'une agonie - terrible agonie de l'âme et non d'une âme individuelle - car l'auteur a pensé, en bien des endroits, s'élever de ses sentiments personnels à la perception douloureuse, aiguë, des tourments où se débat une jeunesse longtemps martyre, une génération accablée de désenchantements et de souffrances [20] en quelque sorte héréditaires, de maux accumulés, depuis les premiers tâtonnements jusqu'à ces jours où l’interminable épreuve sociale se continue dans la double oppression de la misère matérielle et des angoisses morales.

L'élite de cette génération s'élève avec des aspirations d'une spiritualité si intense qu'elles ne peuvent trouver un aliment et une raison d'être dans l'organisation des choses haïtiennes, si peu propres à favoriser les manifestations de l'intelligence et les élans de l'âme éprise d'idéal. Il existe une disproportion très marquée entre les espérances instinctives de la jeunesse studieuse et les conditions générales mesquines, implacables de notre existence. De là nait un conflit des tendances de l'être avec la fatalité du milieu, des légitimes attentes de l'âme cultivée avec la grossière réalité. L'issue de ce combat intérieur est presque toujours fatale à l'individu : c'est, le plus souvent, un esprit qui se corrompt, un talent qui meurt, un artiste qui se détourne du culte de la beauté esthétique avant d'avoir pu faire son ascension des limbes de l'inédit. Haïti perd, de la sorte, on ne sait combien de jeunes gloires qui jetteraient sur elle le seul lustre qu'il lui soit possible et désirable d'avoir : le prestige de l'esprit !

En vérité, il est difficile d'imaginer un spectacle plus triste et plus digne en même temps d'exciter l'intérêt, la sollicitude, sinon la pitié des peuples étrangers, que cette lutte désespérée avec le milieu, un milieu non encore façonné pour permettre l'affranchissement des âmes, leur évolution paisible dans une sphère propice rappelant celle où [21] s'achève le développement harmonieux de l'humanité supérieure plutôt servie que contrariée par les circonstances ambiantes.

Chez nous, quel contraste avec cette vie organisée à souhait pour la culture intellectuelle ! Nous voyons, tous les jours, de nobles ambitions entrainées par des courants contraires, l'homme intérieur assiégé d'influences funestes, l'effort créateur neutralisé, le développement normal et progressif de l'être devenu un rêve pour la réalisation duquel il faut combattre toujours contre soi et contre les autres, braver l'exemple, l'hostilité de ceux qui nous entourent et la rigueur des évènements qui nous pressent. Conçoit-on le malaise de vivre dans les anxiétés de cette lutte intime, en proie à cette dépression morale, à cette lente et quotidienne dévoration du talent enchainé ? C 'est une torture qui doit durer toute une existence et qui, après nous avoir étreints et réduits à l'impuissance, empoignera pendant longtemps encore - un demi-siècle, peut-être, qui sait ? tous ceux qui viendront après nous, tous les tempéraments d'artistes qui auront le malheur de naitre sous nos deux.

Que, placé dans un tel milieu, un écrivain à son début retrace des tableaux lugubres, conçoive le massacre horrible par lequel se termine le poème des DIX HOMMES NOIRS, c’est un malheur qui ne s'explique que trop.

[22]

On l’a vu : un mal moral sévit chez nous avec une effrayante acuité, et ce poème en est un fruit amer. Ce que renferment ces vers : accent de douleur, blasphème, appétit de la mort, soif du néant, c'est hélas ! Le péché de plusieurs et peut-être la faute de tous...

Mais j'aurais mauvaise grâce à commenter une œuvre qui n’est pas encore connue, lorsque surtout j'ignore si elle mérite de l'être. Tout ce qui précède a été dit pour essayer de me justifier d'une conception si triste et pour éviter le reproche peu charitable qu'on pourrait me faire de m'y être complu par perversité de goût. a


a Cet avertissement a été publié dans les deux premières éditions seulement des Dix Hommes Noirs. Bien que nous suivions le texte de la troisième édition (Poésies complètes, Tome II, Albert Messein, 1919) nous avons reproduit exceptionnellement ce document. On le trouvera encore dans La Ronde, pages 128-129.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 13 mars 2019 9:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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