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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Charles Renouvier, Manuel républicain de l’homme et du citoyen. (1848)
Note introductive, par Bertrand Gibier


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Charles Renouvier, Manuel républicain de l’homme et du citoyen. (1848) Paris : Éditions Pagnerre, 1848, 36 pp. Première édition. Une édition numérique de Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais).

Notice introductive

par Bertrand Gibier

Ce Manuel prend la forme d’un catéchisme républicain entre un instituteur et un enfant de la république en train de naître. Il est à dessein assez court, simple et direct : ce qui lui permet d’être ainsi à portée de main. Il constitue un rappel élémentaire des principes fondamentaux de la République.

Contribution à la fondation de la Seconde République après la chute de la Monarchie, cet opuscule a été commandé à Renouvier par Hyppolite Carnot, alors ministre de l’instruction du gouvernement provisoire. Certaines formules du Manuel, jugées outrancières et déplacées dans une commande officielle (distribuée à 20,000 exemplaires auprès des recteurs), déclenchèrent de vives réactions dans l’Assemblée qui contribuèrent à la chute du ministre.

L’auteur est alors un quarante-huitard engagé (il vient d’être nommé secrétaire de la haute commission des études) et trouve l’occasion d’exprimer, dans ce manifeste républicain, le grand espoir qui s’élève alors et dont il se fait le porte parole. Ce jeune bourgeois, ancien élève de Polytechnique, proches de Saint-Simoniens, a adopté les idées socialistes (qu’on pourrait qualifier d’utopistes, ce qu’elles ne cessent d’être en tant que valeurs). Il rédigera le Projet d’organisation communale et centrale de la République, publié en 1851.

L’attente est alors grande, politique d’abord, mais surtout sociale et morale. Et Renouvier voit en la République les conditions de la réalisation de notre humanité (on lui doit l’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises d’alors) et d’une réconciliation par le droit, expression de la volonté générale émanant de citoyens capables enfin de reconnaître dans ce qui les unit l’accomplissement de leur bien propre, capables de trouver entre eux (par l’intermédiaire de leurs représentants) les modes de régulations qui rendent la société profitable à tous en refrénant les inégalités qui rompent le lien social. Les règles de contributions proposées sont empreintes de sens politique et ne sont pas encore devenues la proie d’arguments électoraux mesquins. Il n’était pas encore devenu déplacé de parler d’assistance aux pauvres, comme si la République était synonyme du chacun pour soi et de la loi du plus fort, comme s’il était devenu acceptable que les plus riches trouvent dans les institutions existantes les moyens de se repaître de la chair des plus pauvres (pour reprendre une métaphore qui fut particulièrement reprochée) et que l’on se permette de brader l’instruction pour des calculs à court terme comme s’il ne s’agissait que d’un service public et non pas d’une institution essentielle et fondamentale.

Renouvier ne manque pas en conséquence de rapprocher les valeurs républicaines des principes du Christianisme, entendant soutenir la République contre les réticences de certains catholiques attachés encore à la Monarchie, en présentant ce nouveau régime comme la réalisation des commandements du Christ.

On sait, hélas ! comment cette République se trouvera assez vite détournée de sa destination par son premier et seul président élu, par « la scélératesse de second Bonaparte et de sa bande »[1], les Français se livrant inconsidérément à un maître alors qu’il leur appartenait de s’en émanciper [Voir le texte de la note a.].

Renouvier ne laissa pas d’œuvrer en faveur de la République, de l’Instruction publique, d’en penser les principes. Il continua d’apporter sa contribution active avant et après la naissance de la Troisième République, ne négligeant pas d’entrer dans la polémique par le moyen de la revue qu’il a fondée peu après la défaite de 1870 : la Critique philosophique. [Voir le texte de la note b.].

L’opuscule de Renouvier eut des rééditions (ultérieurement augmentées et parfois aussi commentées) ; nous avons pris le parti de donner ici le texte dans sa première forme, ramassée et directe, témoignage du moment historique de sa naissance (notamment dans la seconde partie) et des aspirations permanentes qui animent les hommes de bonne volonté.

Nous serons heureux d’avoir pu contribuer à sauver quelque peu de l’oubli un de ces hommes qui, par son engagement fidèle, a œuvré pour l’avenir.

Montreuil-sur-Mer, 28 août 2017.

Bertrand Gibier.

Annexe

Notes longues de la notice introductive

Note a.

Ibid. : « Le suffrage universel, qui fit aux Français l’effet de la lumière sur un opéré de la cataracte, était une institution pour ainsi dire formelle, dont l’accompagnement logique de réformes matérielles (dans l’éducation, l’armée, l’impôt, etc.) ne pouvait manquer longtemps sans que la nation appétât le viol d’un Sauveur. » (pp. 113-114) On sait quel usage Louis-Napoléon Bonaparte fit du plébiscite pour apporter une forme de légitimité rétrospective à ses menées antirépublicaines.

Il est possible que Renouvier pensait à 1852 lorsqu’il proposa le commentaire de la fameuse note de Kant, dans la Religion dans les limites de la simple raison, dans le numéro du 14-XII-1876 de la Critique philosophique, « Un passage de Kant sur le cercle vicieux de la liberté politique » : « « J’avoue que je ne puis admettre le langage de la prudence, lorsqu’elle dit : ‘‘Tel peuple qui est en travail de sa liberté politique et civile n’est pas mûr pour la liberté ; les serfs de ce fief ne sont pas mûrs pour la liberté ; et même : les hommes, en général, ne sont pas mûrs pour la liberté religieuse.’’ Avec une pareille supposition, on n’entrerait jamais dans la liberté, car on ne peut pas mûrir pour elle avant d’être placé dans son sein même : il faut être libre pour pouvoir se servir, conformément à son but, des forces que donne la liberté. Les premiers essais seront sans doute grossiers, ordinairement même ils se rattacheront à une époque plus difficile et plus critique que celle où l’on était sous les ordres, mais aussi, pour ainsi dire, sous la prévoyance de certains hommes. Mais on ne mûrit jamais pour la raison autrement que par les propres essais que l’on tente, et que l’on ne sent le besoin de tenter qu’alors que l’on est libre. Je n’ai rien à dire contre ceux qui ont le pouvoir en main et qui, forcés par les circonstances, ajournent même fort loin l’époque où les chaînes seront brisées. Mais poser en principe que ceux que l’on tient sous sa domination ne sont point, en général, faits pour la liberté, et que l’on a le droit de les en tenir éloignés à jamais, c’est empiéter sur les droits de Dieu, qui a fait l’homme pour la liberté. » (Kant, La religion dans les limites de la raison, trad. de Trullard, note de la page 344.)

Il ne manque rien à ces belles maximes, dont la pensée devrait inspirer tous les hommes politiques, même ou surtout sous les monarchies, et qu’un si petit nombre d’entre eux ont paru connaître. On remarquera d’abord un principe général, qui appartient à la pédagogique aussi bien qu’à la direction des États, puisque c’est une vérité commune à tout ce qui est de l’éducation des hommes. On ne mûrit pour la raison que par ses propres essais, et, par conséquent, en usant de sa liberté. Les philosophes pratiques de la France, Rabelais, Montaigne, Rousseau ont mis tous ce précepte d’autonomie en première ligne de leur morale pédagogique, et Kant l’aurait trouvé chez Rousseau, s’il ne l’avait eu comme une conséquence directe de l’idée qu’il se faisait du devoir, dont l’essence est incompatible avec une sujétion hétéronome. Nos habitudes catholiques nous ont rendus jusqu’à ce jour impropres à pratiquer, soit dans l’enseignement public, soit dans nos familles, les maximes libérales, les seules morales et les plus efficaces de toutes pour faire des hommes. Les nations protestantes nous ont naturellement bien devancés à cet égard ; les préceptes de leurs philosophes n’ont point été pour les Anglais un idéal mort, destiné à faire honte aux réalités, au lieu de les diriger.

Vient ensuite le cercle vicieux de la pratique des gouvernements, le même dans les administrations et les législations que dans le gouvernement domestique : on attend pour accorder aux sujets, comme aux enfants, la direction d’eux-mêmes en chaque chose, d’être bien certain qu’ils ne mésuseront pas de leur liberté en cela. Le moment d’une telle certitude vient difficilement, il ne vient même jamais, si l’on prétend que la liberté doive fonctionner toujours pour le plus grand bien de tout le monde, sans écarts, ou du moins sans risquer des maux trop graves. Mais la servitude posséderait-elle par hasard ce privilège de sécurité et d’infaillibilité ? Les premiers essais, dit Kant, se rattacheront ordinairement à une époque plus difficile et plus critique que ne sont celles où les peuples sont menés à la lisière : c’est trop juste, et du reste l’apprentissage ne diffère que du plus au moins de l’exercice d’une faculté quelconque, puisque le faire, en tout, a pour condition la possibilité de mal faire. L’époque difficile et critique est venue, et dure déjà depuis longtemps, chez les peuples qui commencent à pratiquer les libertés de réunion, d’association et de presse. Elle se prolonge outre mesure, en France particulièrement, à cause de l’aveuglement des gouvernants qui ne peuvent se résigner à subir les effets de la crise, et préfèrent laisser la nation indéfiniment engagée dans le cercle vicieux de l’apprentissage de la liberté, sans même éviter ainsi les mouvements convulsifs, sans peut-être les atténuer, plutôt que d’accepter les conditions nécessaires de l’établissement des nouvelles habitudes sous un régime libre.

Ce n’est pas que le philosophe entende condamner absolument les atermoiements de ceux qui ont le pouvoir et qui, forcés par les circonstances, ajournent le don d’une liberté. Nous voici à la question de l’ « opportunisme ». Autant il est nécessaire de subir les inconvénients de l’initiation, en matière de droits à exercer pour un peuple, autant il est visible que le passage de la servitude à la liberté n’étant jamais l’œuvre d’un moment, ni exempt du danger des réactions que tout changement grave est dans le cas de provoquer, ceux qui ont le pouvoir ont à se poser des questions de possibilité, d’opportunité, et à prendre garde d’agir sous la probabilité d’un résultat à attendre de leur action même, et qui serait diamétralement opposé à celui qu’ils se proposent d’obtenir. Tel est le sens réel de la ‘‘force des circonstances’’ dont parle Kant. Nécessité des transitions, en fait, à cause du principe de l’habitude et de l’opposition des intérêts ; danger des réactions, obligation morale et matérielle des transactions entre les majorités et les minorités ; examen des possibles et supputation des probables, tout cela est compris dans la force des circonstances et doit entrer dans les préoccupations de l’homme politique. Le principe dominant, pour l’homme politique consciencieux, reste toujours la liberté de tous, comme but, avec la conviction raisonnée de l’impossibilité d’en franchir sans inconvénients ni abus l’époque d’apprentissage.

Enfin, Kant ne sépare pas la liberté religieuse de la liberté politique, toutes deux étant comprises dans le principe général de l’autonomie. Le passage du texte, auquel se rapporte la note sur la liberté que nous avons reproduite, renferme une protestation d’une extrême énergie contre les prétentions des prêtres à imposer aux peuples des croyances fondées sur des révélations impossibles à prouver, et contre les habitudes autoritaires et sacerdotales conservées par les protestants eux-mêmes, ‘‘qui cependant ont fait un faible progrès dans la liberté de penser, et se regardent pour ainsi dire comme ennoblis depuis qu’ils ont secoué le joug d’une croyance servile’’. » [Retour à l’appel de note a.]

Note b.

À la fin de la présentation du criticisme dans le tout premier numéro de la Revue, on peut lire la déclaration suivante : « Le criticisme vise à renouveler la politique, en introduisant une simple proposition qui serait le salut de tous les États, et le nôtre : Juger de l’honneur en politique exactement sur les mêmes errements qu’on en juge dans les relations privées ; donc, vouloir en tout la sincérité, stigmatiser le mensonge et toutes les formes du mensonge ; vouloir en tout la paix et la liberté, stigmatiser la violence et toutes les formes de la violence ; réduire l’emploi de la force au cas strict de la légitime défense ; considérer comme de malhonnêtes gens les menteurs en politique et les violents en politique. » (Critique philosophique, « Ce que c’est que le criticisme », Année I, n° 1, 8-II-1872, pp. 2-3.

On pourrait avoir un aperçu de cet esprit lors de la discussion qui eut lieu en 1877 sur le jour à choisir pour commémorer la fête nationale. La Revue ne prit pas le parti de ceux qui choisissaient le 14 juillet, jour d’émeute et de fièvre et lui préférait le moment institutionnel de la proclamation de la Première République. Voici les termes par lesquels François Pillon concluait son article : « Il est très naturel que les hommes qui ne comprennent pas la valeur de la politique légaliste, et qui n’entendent nullement répudier la méthode révolutionnaire, relèguent au dernier plan la date du 21 septembre et se prononcent pour celle du 14 juillet. Il est pareillement naturel que les hommes qui sont, comme nous, attachés aux formes, et qui s’en font honneur, se montrent peu disposés à fêter les journées où ‘‘la plèbe, la rue, opérant elle-même, dans la plénitude de sa souveraineté, s’est fait elle-même justice’’.

La souveraineté de la rue n’est pas, à nos yeux, la souveraineté du peuple, – pas plus quelles cris furieux de la foule ne sont la voix de la nation. Assurément oui, nous sommes attachés aux formes, et pour l’exercice du pouvoir législatif et pour l’exercice du pouvoir judiciaire. Oui, nous tenons à la liberté, à la régularité et à la sincérité des scrutins, à la liberté, à la dignité et à la régularité des délibérations et des discussions. Ceux qui en font bon marché nous paraissent entendre et servir fort mal les intérêts de la République. Le mépris des mandats réguliers et des assemblées qui en sont investies, le mépris des formes électorales et parlementaires est, dans un pays, le commencement du césarisme. Les révolutionnaires qui sont toujours prêts à sortir de la légalité pour rentrer dans le droit ne devraient pas, il semble, ignorer au profit de quelle cause ils travaillent. Qu’est-ce que c’est que la souveraineté de la rue ? Il faut l’appeler de son vrai nom, l’anarchie ; et l’anarchie n’est pas, comme l’étymologie l’indique, l’absence de commandement et d’autorité, ce qu’un utopiste célèbre concevait comme la liberté absolue ; c’est une espèce de commandement et d’autorité très réelle et très dure dans son instabilité ; qui menace tout le monde et qui ne protège personne ; c’est une tyrannie mobile, anonyme, inorganique, intellectuellement et moralement irresponsable, qui, par l’insécurité momentanée à laquelle elle condamne tous les citoyens, en prépare une autre organisée, solidement assise, durable, sous le nom d’un chef militaire ou d’un prince ; c’est un criminel désordre qui conduit très vite à un ordre criminel. La souveraineté de la rue n’est pas la République. Oui, nous tenons aux formes judiciaires, c’est-à-dire aux garanties qu’offrent aux accusés des tribunaux réguliers devant lesquels ils sont entendus et peuvent se défendre. ‘‘Quelqu’imparfaites que soient les formes, a écrit Benjamin Constant, elles ont une faculté protectrice qu’on ne leur ravit qu’en les détruisant ; elles sont les ennemies nées, les adversaires inflexibles de la tyrannie. Aussi longtemps qu’elles subsistent, les tribunaux opposent à l’arbitraire une résistance plus ou moins généreuse, mais qui sert à le contenir.’’ Qu’est-ce que c’est que la rue se faisant elle-même justice ? C’est la violation des principes les plus élémentaires de l’état civil, c’est le retour aux jugements spontanés et aux punitions spontanées de l’état de nature. Cette justice de la rue est une justice d’exécutions sommaires ; et les exécutions sommaires, quel que soit le parti qui frappe et quel que soit le parti frappé, quelles que soient les passions qui les expliquent, révolutionnaires ou réactionnaires, sont, pour nous, des assassinats. La justice de la rue qui, au nom de la révolution, coupe des têtes d’aristocrates et les promène au bout des piques, ressemble, par son mépris des formes, à celle qui, au nom de l’ordre, fusille des insurgés désarmés et prisonniers. Le devoir des républicains est de réprouver et de flétrir l’une et l’autre au nom de la civilisation. » (Critique philosophique, « À propos de la fête républicaine et nationale », Année VI, n° 1, 1-II-1877, pp. 2-3) [Retour à l’appel de note b.]



[1] Critique philosophique, Année I, n° 8, 28-III-1872, p. 113.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 13 décembre 2018 8:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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