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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Communisme, anarchie et personnalisme (1966)
Postface à anarchisme et personnalisme


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Emmanuel Mounier (1905-1950), Communisme, anarchie et personnalisme. Paris: Éditions du Seuil, 1966, 191 pp. Collection: Politique, no 3. Préface de Jean Lacroix. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

Postface à anarchisme et personnalisme

Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Je reprends ces pages dix ans après les avoir écrites. À force de déception et de dégoûts nous avons appris à nous méfier du romantisme révolutionnaire. La réaction des anarchistes contre le marxisme naissant n'était pas sans trahir quelque chose de cette colère d'enfants qui faisait aux artisans de 1830 briser les premières machines et qui retient aujourd'hui tant de nostalgies inquiètes aux limites du monde nouveau. Ceux mêmes qui ne relèvent pas de son orthodoxie politique ont appris du marxisme qu'une révolution se fait avec les nécessités des choses aussi bien qu'avec la générosité des hommes. À travers le marxisme et par lui, la révolution est devenue raisonnable, froide, politique. C'est le sens de l'histoire et de la vie. Quand il est entré dans les plaines et dans leurs écluses, le fleuve ne remonte pas au torrent. Et pour qu'il serve les villes et les champs, il faut que le fleuve accepte d'être administré, endigué, domestiqué. Mais la force du fleuve vit encore de la pente du torrent, la puissance qui nourrit les villes et les champs est encore puisée à la puissance du torrent ; on peut faire très large, dans le courant de pensée et d'action ouvrières que nous venons de repérer à sa source, la part d'une sorte de jeunesse sociologique, ou si l'on veut de turbulence infantile. Mais on ne s'en débarrasserait pas à si bon compte. Si la révolution jetait sur l'idéalisme de ses débuts un regard désabusé de vieil homme, c'en serait fait de la révolution. Laissons les enfantillages. À travers les enfantillages, nous avons touché plus d'une fois la gravité bouleversante d'une voix qui nous disait que le respect de l'homme, la morale révolutionnaire le souci des moyens sont, dans ce mouvement ouvrier français, de profondes exigences populaires, et non pas, comme certains se plaisent à l'entendre, une démangeaison de la conscience petite-bourgeoise. 

Je dirais volontiers que nous avons été amenés à esquisser, dans ces trois études, une sociologie des profondeurs. C'est dans la mesure où nous avons approfondi la tradition chrétienne -et non pas dans quelque libéralisme religieux - que nous avons trouvé au christianisme de fraîches ressources d'intelligence historique. C'est dans la mesure où nous rejoignons la spontanéité primitive du mouvement ouvrier que nous mettons à nu une sagesse populaire plus pleinement humaine que tous nos efforts pour humaniser la révolution. Ce mouvement vers les sources n'est pas une démarche abstraite et proprement hérétique, car c'est bien le christianisme dans l'église, le peuple dans son action organisée et progressive que nous allons rejoindre, non pas quelque église invisible ou quelque peuple idéal, ces rêves sans forme où se réfugient les vaincus de la vie. Mais ici et là nous sommes rappelés à de très simples lois du temps et de la vie. Si les appareils sont nécessaires à l'exercice de notre liberté souveraine, ils tendent de par eux-mêmes à transformer les rapports humains en rapports instrumentaux, à écraser l'homme sous les mécanismes d'émancipation de l'homme. Ce que nous avons gagné sur l'idéalisme et sur l'individualisme d'un siècle déjà mort, c'est la connaissance du caractère collectif de toute oeuvre de salut, et du caractère contraignant de ses conditions matérielles. Il n'est de liberté que sur un ordre de choses, et parmi des hommes. Mais si rigoureux soit l'itinéraire qui nous est fixé en certaines époques de crise, si étroite l'initiative que nous permet le coude à coude du salut public, cette dure guerre ne reste une guerre d'homme que si la liberté guide nos pas. Tel est le message profond de la pensée anarchiste sans ses enfantillages et sans ses utopies. Résumons-le, pour finir, par un de ses textes les plus incisifs. 

« La véritable outrecuidance consiste à accorder à certains individus la perfection de l'espèce... Vous croyez que vos institutions d'État sont assez puissantes pour changer un faible mortel, un fonctionnaire, en saint, et lui rendre possible l'impossible. Mais vous avez tellement peu confiance en votre organisme d'État que vous craignez l'opinion isolée d'un particulier... L'instruction [sur la censure] demande que l'on témoigne une confiance illimitée à la classe des fonctionnaires, mais elle part d'une défiance illimitée envers la classe des non-fonctionnaires. Pourquoi ne pratiquerions-nous pas la loi du talion ? Pourquoi la classe des fonctionnaires ne serait-elle pas précisément suspecte ? Même observation pour le caractère. Et de prime abord, l'homme impartial doit accorder plus d'estime au caractère du critique public qu'à celui du critique secret... C'est parce qu'il a une vague conscience de tout cela que l'État bureaucratique s'efforce de placer la sphère de l'anarchie assez haut pour qu'elle disparaisse aux regards ; il se figure alors qu'elle est évanouie. » 

Ce texte, ne le cherchez ni chez Proudhon malgré l'attaque haletante et serrée de la phrase, ni chez Bakounine ni dans Kropotkine, ni chez aucun de ceux que nous avons cités. Il est de Marx, parlant de la censure allemande. C'est une preuve que la vérité implicite de l'anarchisme, comme écrivait Proudhon par gentillesse, n'appartient à personne, et que chacun peut en faire profit.


Retour au texte de l'auteur: Emmanuel Mounier, philosophe Dernière mise à jour de cette page le vendredi 4 mai 2007 18:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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