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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le temps des illusions. Souvenirs (Juillet 1940-Avril 1942). (1946)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Henry du Moulin de LaBarthète, Le temps des illusions. Souvenirs (Juillet 1940-Avril 1942). Genève : Les Éditions du cheval ailé, 1946, 438 pp. Bruxelles, Paris : La Diffusion du livre. Une édition numérique réalisée par Michel Bergès, bénévole, directeur de la collection “Civilisations et politique”.

[11]

Le temps des illusions.
Souvenirs (Juillet 1940-Avril 1942)

Avant-propos

Je ne crois pas que ce livre ait besoin d’une longue présentation. Il n’est fait, au fond, que de souvenirs. Et, comme pour beaucoup de souvenirs, son introduction pourrait tenir en quelques lignes : « J’étais à tel endroit, j’ai vu telles et telles choses, tels et tels gens. Je les ai dépeints comme je les ai vus, avec le souci de l’exactitude, avec les ressources de mon tempérament. J’ai pu commettre des erreurs, des injustices. D’autres livres viendront, qui compléteront, qui réduiront, qui rectifieront. Et la vérité, l’humaine vérité, se dégagera, dans quelques années, de la pluralité des témoignages, de la confrontation des textes. »

Une telle modestie dans l’approximation s’impose, surtout, aux observateurs des grandes crises politiques. Quelque bien placés qu’ils aient été – je crois l’avoir été pour la première période de Vichy – ils n’ont pas pu tout voir, tout entendre ; ils ont pu ne pas s’affranchir de réactions trop personnelles. Une marge assez épaisse d’incertitude leur interdit d’écrire directement pour l’histoire. Il leur reste le droit d’ébaucher des esquisses, le devoir de les présenter sous le jour le plus fidèle, l’espoir de les voir justifiées par le jugement de l’avenir…

Est-ce à dire que des souvenirs aient besoin, comme l’histoire elle-même, d’un certain recul ? Je ne le pense pas. Leur qualité tient, surtout, à leur fraîcheur. Et le travail de criblage de l’historien s’exercera, plus volontiers, sur une matière encore en fusion. À tenir trop longtemps leur mémoire en suspens, les auteurs de souvenirs s’exposeraient à de fâcheuses défaillances.

Tout autre, évidemment, est le problème de la publication. L’opportunité y tient une place, dont la simple rédaction n’a pas à se soucier. [12] L’opportunité et les convenances. J’aurais eu d’autant moins d’excuses à n’y point porter mon attention, que les événements de ce récit appartiennent à l’une des périodes les plus récentes, les plus troublées, les moins connues de l’histoire contemporaine. Les passions ne se sont pas encore éteintes. La France n’a pas retrouvé tout son équilibre. Beaucoup d’hommes et de femmes, blessés, torturés, anémiés, souffrent toujours dans leur chair. D’autres expient, souvent, dans leurs cellules, le seul crime de s’être dévoués trop tôt au redressement du pays. Fallait-il jeter ces sarments sur une cendre encore chaude ? Fallait-il risquer d’ajouter, par un crayon trop appuyé, à tant d’épuisantes querelles ?

L’objection m’eût retenu, et sans doute arrêté, s’il s’était agi d’un livre de polémique. Mais ce livre n’est pas un livre de polémique. Il ne contient, ou presque, que des descriptions. Et je crois à la vertu sédative des descriptions. Je crois qu’il est possible, sans heurter des susceptibilités trop vives, sans ranimer de trop cruelles blessures, de décrire simplement les choses telles qu’elles se sont passées, de présenter avec sérénité la relation de faits, qui n’ont souvent ému l’opinion que parce qu’elle ne les a qu’imparfaitement saisis ou qu’elle en a tiré de trop rapides conclusions.

Une telle méthode comporte, à vrai dire, des écueils. Et je ne suis pas sûr de les avoir évités. Dans l’âpre combat d’idées, où tant de Français se sont engagés depuis six ans, les lignes de fracture sont demeurées assez vives. La simple recherche de la vérité et ses premiers essais de fixation ne risquent pas seulement d’apparaître comme le passe-temps d’une époque révolue; ils peuvent prendre l’aspect d’un refus de conclure, d’une sorte d’indifférence, plus ou moins consentie, à beaucoup de « positions » passées, présentes ou futures.

Je ne doute pas qu’à ce titre ces souvenirs ne déçoivent certains lecteurs. Non seulement les adversaires passionnés de Vichy, qui n’y trouveront pas la trace de ces complots, de ces trahisons, dont leur imagination s’est si souvent nourrie. Mais, même, les défenseurs de Vichy — les défenseurs systématiques, tout au moins — peu nombreux encore, à la vérité, plus nombreux pourtant en 1946 qu’en 1944, et dont le nombre ira croissant, au fur et à mesure que les exigences du pouvoir et ses dérèglements créeront de nouvelles vocations de nostalgiques du passé.

À ceux-là je n’offrirai pas, sans doute, le réconfort qu’ils attendent, la justification totale dont ils gardent l’espoir, ni ces allusions, un peu [13] trop faciles, aux fautes des gouvernements d’aujourd’hui. Je le regrette pour beaucoup d’entre eux, qui furent mes amis et qui, plus que d’autres, ont souffert, au cours de ces derniers mois. Mais je leur demande d’admettre que tel ne pouvait être mon propos, au moins pour une première œuvre, et pour une œuvre écrite en Suisse. Non que j’aie songé, un seul instant, à me tenir au-dessus d’une mêlée, où j’ai, jadis, choisi mes couleurs et pris mes risques. Mais parce qu’il m’est apparu que le premier devoir d’un narrateur était d’échapper aux fièvres du moment, pour s’en tenir à la présentation sincère des faits. Et puis, parce qu’il n’est peut-être pas de très bonne politique de reconstruire sur un terrain insuffisamment déblayé…

En me proposant de décrire Vichy, de le dépeindre, de l’expliquer, non d’en rehausser l’image, je n’ai donc pas cherché le refuge d’une frileuse abstention. J’ai même souhaité de me livrer, au gré de la chronologie, à cet examen de conscience, auquel tous ceux qui furent associés à quelque événement de l’histoire ont le devoir de s’astreindre. J’ai tâché d’y voir clair, de démêler ce complexe, où l’acharnement des uns, l’ingénuité des autres s’évertuent encore à découvrir un « bloc », alors que rien ne fut, en fait, plus divers, plus disparate, moins homogène que le régime de Vichy. Je ne me suis pas dérobé devant l’aveu des erreurs commises, des illusions trop longuement entretenues, mais, tout en dénonçant les vers qui se sont glissés dans le fruit, j’ai tenté de rendre hommage à la pureté des intentions, comme à l’amour de la France, qui présidèrent à cette renaissance manquée.

Mon vrai scrupule était, au fond, d’une autre nature. Et si j’éprouve quelque gêne à publier, dès aujourd’hui, ce livre, c’est que le principal personnage en est encore vivant, qu’il ne jouit plus de sa liberté, qu’il a choisi d’observer un silence, dont il aurait aimé, peut-être, que ses compagnons de route s’inspirassent. Pardonnera-t-il à mon indiscrétion ? Excusera-t-il la liberté du ton, la vivacité des traits ? Acceptera-t-il que l’un de ceux qui l’ont servi, jadis, avec le plus d’espoir, ait osé mêler sur son nom les rayons et les ombres ? Ces questions resteront, sans doute, sans réponse. Mais je ne m’interdis pas de penser que la meilleure façon de servir, encore, un homme, dont la légende a fait d’abord son prisonnier, est de le présenter dans sa véritable lumière, avec sa beauté, avec ses faiblesses, sous ce manteau de simple humanité, que l’éloge et le blâme lui ont si souvent refusé.

[14]

J’ai rédigé ces lignes au lendemain de son procès, d’un procès où mon libre témoignage n’a pas été accueilli. Je les ai rédigées dans le silence d’une retraite, qu’une incomparable hospitalité m’a rendue douce et paisible, face à la France, face à ses horizons, sans amertume et sans passion. Je souhaite qu’elles contribuent à l’union renaissante des Français. Je souhaite, aussi, qu’elles fassent comprendre aux meilleurs d’entre eux qu’ils n’ont pas trop à rougir de leur histoire la plus récente.

« Les Croisettes ».
Nyon, le 19 mars 1946.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 17 décembre 2020 10:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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