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Collection « Les auteur(e)s classiques »

De l'homme. (1936)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Ralph Linton (1936), De l'homme. Paris : Éditions de Minuit, 1967, 535 pages. Collection : Le sens commun.

Introduction

Ce livre a été écrit en un temps de confusion et d'incertitude. Il est encore trop tôt pour dire si le monde occidental se rétablira des blessures qu'il s'est infligées au cours de la Grande Guerre ou si, plus vraisemblablement, une guérison partielle ne sera que le prélude à une seconde tentative de suicide, réussie cette fois. Nous avons connu des heures sombres et tout laisse à penser qu'elles ne furent pas les dernières. Alors que nul ne peut mettre en doute l'urgence de la réorganisation de notre société et de notre culture, nombre de lecteurs seront peut-être déçus de constater que nous n'avons présenté aucun plan d'action ni même essayé de porter un jugement sur les projets d'aujourd'hui. Que ces lecteurs se rappellent toutefois qu'une réorganisation efficace présuppose une connaissance complète et approfondie des conditions et des moyens. Il arrive qu'en médecine, il faille, pour appliquer des mesures thérapeutiques, attendre qu'une recherche systématique soit menée sur la nature et le comportement des organismes concernés. Dans le calme de son laboratoire, le bactériologiste apporte une contribution en fin de compte aussi estimable que le médecin d'un service hospitalier. De la même façon, dans la lutte contre la confusion et les tensions d'aujourd'hui, le travail du réformateur doit profiter des efforts déployés en sciences sociales; les conclusions de ces dernières seront d'autant plus précises et, par conséquent, d'autant plus valables qu'elles auront pu approcher objectivement les phénomènes qu'elles étudient. En anthropologie, comme dans toutes les autres sciences, une compréhension véritable exige une approche impersonnelle des problèmes et une grande ouverture d'esprit. Ces qualités ne pourront se manifester que le jour où le chercheur renoncera à tenir sa petite théorie pour une démonstration et ses rationalisations pour des plans de réforme. Il est trop facile, même pour un individu parfaitement consciencieux, d'ignorer ou de minimiser l'importance d'une preuve qui contredit ses idées préconçues.

Il n'est pas de science humaine qui puisse atteindre un degré d'objectivité comparable à celui de la physique et de la biologie. On ne peut étudier des hommes vivants avec autant d'impersonnalité que des rats ou des fossiles : le chercheur a trop en commun avec l'objet qu'il étudie. Le risque d'une implication affective est toujours à craindre, surtout quand le chercheur étudie les phénomènes de sa propre société et de sa propre culture. Ainsi, la plus superficielle des recherches sur la situation contemporaine montre tellement la nécessité d'intervenir que le chercheur ne peut guère se défendre de formuler des plans dont il s'efforcera par la suite de démontrer la légitimité. En outre, la relation de proximité que le chercheur entretient avec les phénomènes qu'il étudie l'empêche souvent de les appréhender dans toutes leurs dimensions et d'en saisir la logique interne.

On définit communément l'anthropologie comme l'étude de l'homme et de ses oeuvres. Cette définition devrait inclure une partie des sciences naturelles et la totalité des sciences sociales mais, par une sorte d'accord tacite, les anthropologues se sont réservés comme principal champ de recherche l'étude des origines de l'homme, la classification des variétés humaines et les recherches sur la vie des peuples dits « primitifs ». L'étude des origines de l'homme et des variétés humaines n'a que peu de rapport avec nos problèmes contemporains. Elle aurait pu en avoir si les variétés humaines différaient entre elles, de façon marquée, par leur intelligence et leurs aptitudes, mais tout semble prouver qu'il n'en est rien. Par contre, l'étude des peuples « primitifs » peut fournir la clef nécessaire à la compréhension d'un grand nombre de nos problèmes. Il y a loin apparemment de la ville moderne au kral cafre et il est souvent difficile de convaincre le sociologue ou l'économiste qu'une chose apprise ici puisse l'aider à en comprendre une autre là. Il reste qu'ils ont tous deux un dénominateur commun puisqu'ils dépendent l'un et l'autre de qualités propres aux hommes vivant en sociétés organisées. Tant qu'on n'a pas compris ce que sont ces qualités, on se condamne à ne rien comprendre aux phénomènes qui leur doivent d'exister.

Si l'anthropologie a réussi à prouver quelque chose, c'est, à coup sûr, que les peuples et les ethnies sont fondamentalement identiques. Si l'on veut comprendre la nature de la société et de la culture, la première société venue, la première culture fera l'affaire. Il y a même tout avantage à commencer par étudier des peuples non européens. Moins impliqué affectivement, le chercheur trouve dans les différences qui séparent leur culture de la sienne le moyen de faire ressortir plus nettement les caractères de l'une et de l'autre. L'étude de groupes étrangers peut, en outre, remplacer partiellement les techniques de laboratoire si précieuses pour les sciences naturelles et physiques. Si les sciences sociales ne fournissent jamais au chercheur l'occasion d'étudier des sociétés ou des cultures dans des conditions préalablement déterminées et éprouvées, il lui est loisible de les observer dans une grande variété de conditions. Il pourra, à partir d'observations de cette sorte, déduire les dénominateurs communs à la société et à ce que nous appelons vaguement « la nature humaine » beaucoup plus facilement qu'il ne le pourrait à partir d'études menées dans le cadre d'une seule société. De telles études comparatives donnent en particulier une idée du degré selon lequel les individus peuvent être modelés par leur environnement social.

Ce dernier point est capital pour toute forme de planification sociale. Comme tout planificateur, le réformateur doit tenir compte des qualités des matériaux dont il dispose. Avant qu'il puisse espérer changer les habitudes et les attitudes des hommes, il doit savoir de quelle façon elles ont déjà été façonnées dans le passé et, par conséquent, de quelles façons il y a des chances qu'elles puissent l'être dans l'avenir. C'est le but ultime de l'anthropologie que de découvrir dans quelles limites les hommes peuvent être conditionnés et quels sont les modèles de vie sociale qui imposent le moins de tensions à l'individu. Les problèmes doivent être énoncés sous cette forme négative puisque l'état de nos connaissances nous permet d'affirmer que, sous ce rapport, les facultés d'adaptation sont très étendues.

L'anthropologie est l'une des sciences les plus jeunes et elle n'a fait qu'amorcer la solution de ces problèmes. Son travail est encore gêné par le défaut de techniques adéquates comme par une vision indécise de ses objectifs. C'est le but de ce livre que de montrer les résultats déjà acquis et d'attirer l'attention sur certaines questions importantes restées encore sans réponse.

Retour à l'auteur: Ralph Linton Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 27 mars 2003 08:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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