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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Traité de la nature humaine. Essai pour introduire la méthode expérimentale de raisonnement
dans les sujets moraux
. Tome III: De la morale. (1739)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de David Hume intitulé, Traité de la nature humaine. Essai pour introduire la méthode expérimentale de raisonnement dans les sujets moraux. (1739) Tome III: De la morale. Une traduction de M. Philippe Folliot, professeur de philosophie au Lycée d'Ango à Dieppe en Normandie à partir du livre: A Treatise of Human Nature. Being An Attempt to Introduct the Experimental Method of Reasoning in the Moral Subjects. London. Printed for John Noon, at the White-Hart, near Mercer’s-Chapel, in Cheapfide. First edition: 1739. Le 1er juin 2007.

Introduction

Rien n'est plus habituel ni plus naturel, chez ceux qui prétendent révéler au monde quelque chose de nouveau en philosophie et dans les sciences, que de faire discrètement les louanges de leur propre système en décriant tous ceux qui ont été avancés avant eux. A vrai dire, s'ils se contentaient de déplorer cette ignorance où nous sommes encore plongés sur les plus importantes questions qui peuvent se présenter devant le tribunal de la raison humaine, ceux qui ont une connaissance des sciences seraient peu nombreux à ne pas être promptement d'accord avec eux. Il est facile à un homme de jugement et d'instruction d'apercevoir la faiblesse même du fondement de ces systèmes qui ont obtenu le plus grand crédit et ont porté au plus haut leurs prétentions à l'exactitude et à la profondeur du raisonnement. Principes adoptés de confiance, conséquences déduites de ces principes de façon boiteuse, manque de cohérence dans les parties et d'évidence dans le tout, c'est ce qu'on rencontre partout dans les systèmes des plus éminents philosophes, et c'est ce qui semble avoir jeté le discrédit sur la philosophie elle-même. 

Il n'est pas besoin d'une connaissance profonde pour découvrir la condition imparfaite des sciences de notre époque, car même la multitude, à l'extérieur des portes, peut, à partir du tapage et des cris, juger que tout ne va pas bien à l'intérieur. Il n'est rien qui ne soit sujet de débat, ni sur quoi les hommes instruits ne soient d'opinions contraires. La question la plus futile n'échappe pas à notre controverse, et aux questions capitales, nous ne sommes pas capables de donner une solution certaine. Les disputes se multiplient comme si toute chose était incertaine, et ces disputes sont menées avec la plus grande chaleur comme si toute chose était certaine. Dans ce remue-ménage, ce n'est pas la raison, mais l'éloquence, qui remporte le prix ; et nul ne doit jamais désespérer de gagner des prosélytes à l'hypothèse la plus extravagante s'il a assez d'habileté pour la représenter sous des couleurs favorables. La victoire n'est pas gagnée par les hommes en armes qui manient la pique et l'épée, mais par les trompettes, les tambours et les musiciens de l'armée. 

De là vient, selon moi, ce préjugé courant contre les raisonnements métaphysiques de toute sorte, même parmi ceux qui se disent lettrés et qui évaluent équitablement toutes les autres parties de la littérature. Par raisonnements métaphysiques, ils n'entendent pas ceux qui concernent une branche particulière de la science, mais toute espèce d'argument qui, d'une façon ou d'une autre, est abstrus et requiert quelque attention pour être compris. Nous avons si souvent perdu notre peine dans de telles recherches que nous les rejetons le plus souvent sans hésitation, et décidons que, si nous devons à jamais être la proie des erreurs et des illusions, qu'elles soient du moins naturelles et divertissantes. Et, en vérité, rien, sinon le scepticisme le plus déterminé, accompagné d'un haut degré d'indolence, ne peut justifier cette aversion pour la métaphysique. En effet, si la vérité est à la portée de la capacité humaine, elle doit se trouver très profond, et à un niveau très abstrus; et espérer y arriver sans peine, alors que les plus grands génies ont échoué malgré les peines les plus extrêmes, doit certainement être jugé assez vain et présomptueux. Je ne prétends pas à un tel avantage dans la philosophie que je vais développer, et j'estimerais que, si elle était trop facile et trop évidente, ce serait une forte présomption contre elle. 

Il est évident que toutes les sciences, d'une façon plus ou moins importante, ont une relation à la nature humaine, et que, si loin que l'une d'entre elles peut sembler s'en écarter, elle y revient toujours d'une façon ou d'une autre. Même les mathématiques, même la philosophie naturelle et la religion naturelle dépendent dans une certaine mesure de la science de l'HOMME, car elles tombent sous la connaissance des hommes et sont jugées par leurs pouvoirs et leurs facultés. Il est impossible de dire quels changements et quelles améliorations nous pourrions faire dans ces sciences si nous connaissions entièrement l'étendue et la force de l'entendement humain, et si nous étions capables d'expliquer la nature des idées que nous employons et des opérations que nous effectuons dans nos raisonnements. Et ces améliorations sont le plus à espérer dans la religion naturelle, car elle ne se contente pas de nous instruire de la nature des pouvoirs supérieurs, mais porte plus loin ses vues, pour nous instruire de leurs dispositions envers nous et de nos devoirs envers eux; et, en conséquence, nous ne sommes pas seulement nous-mêmes les êtres qui raisonnons, mais aussi l'un des objets sur lesquels nous raisonnons. 

Si donc les sciences mathématiques, la philosophie naturelle et la religion naturelle ont une telle dépendance à l'égard de la connaissance de l'homme, que peut-on attendre des autres sciences dont la connexion avec la nature humaine est plus étroite et plus intime? La seule fin de la logique est d'expliquer les principes et les opérations de notre faculté de raisonner, et la nature de nos idées; la morale et l'esthétique considèrent nos goûts et nos sentiments, et la politique envisage les hommes comme réunis en société et comme dépendant les uns des autres. Dans ces quatre sciences, la logique, la morale, l'esthétique et la politique, est presque contenu tout ce qu'il peut, d'une façon ou d'une autre, nous importer de connaître, ou tout ce qui peut tendre soit à l'amélioration, soit à l'ornement de l'esprit humain. 

Voici donc le seul moyen dont nous puissions espérer le succès dans nos recherches philosophiques : abandonner la fastidieuse et lente méthode que nous avons suivie jusqu’ici, et au lieu de prendre çà et là un château ou un village à la frontière, marcher directement sur la capitale, le centre de ces sciences, sur la nature humaine elle-même ; et une fois que nous en serons maîtres, nous pouvons espérer partout ailleurs une facile victoire. A partir de cette position, nous pouvons étendre nos conquêtes à toutes ces sciences qui concernent plus intimement la vie humaine, et pouvons ensuite procéder à loisir à la découverte de celles qui sont des objets de pure curiosité. Il n’est pas de question importante dont la solution ne soit comprise dans la science de l’homme, et aucune ne peut être résolue avec tant soit peu de certitude avant que nous ne connaissions cette science. Par conséquent, en prétendant expliquer les principes de la nature humaine, nous proposons en fait un système complet des sciences bâti sur un fondement presque entièrement nouveau, le seul sur lequel elles puissent s’établir avec quelque sécurité. 

De même que la science de l’homme est la seule fondation solide pour les autres sciences, de même la seule fondation solide que nous puissions donner à cette science elle-même doit reposer sur l’expérience et l’observation. Ce n’est pas une réflexion étonnante que de considérer que l’application de la philosophie expérimentale aux sujets moraux vienne après son application aux sujets naturels, à une distance de plus d’un siècle entier, puisque nous nous apercevons qu’en fait, il y eut environ le même intervalle entre les origines de ces sciences, et qu’en comptant de THALES à SOCRATE, l’intervalle de temps est presque égal à celui [que l’on trouve] entre Lord BACON et certains philosophes anglais récents  qui ont commencé à mettre la science de l’homme sur un nouveau pied, qui ont attiré l’attention et ont excité la curiosité du public. Tant il est vrai que, quoique d’autres nations puissent rivaliser avec nous en poésie, et nous surpasser en certains autres arts d’agrément, les progrès de la raison et de la philosophie ne peuvent être dus qu’à une terre de tolérance et de liberté. 

Nous ne devons pas croire que ce dernier progrès dans la science de l’homme fera moins honneur à notre pays natal que le progrès précédent dans la philosophie naturelle, mais nous devons estimer que c’est une grande gloire, compte tenu de la plus grande importance de cette science, aussi bien que de la nécessité pour elle de se soumettre à une telle réforme. Car il me semble évident que l’essence de l’esprit nous étant aussi inconnue que celle des corps extérieurs, il est tout aussi impossible de se former quelque notion de ses pouvoirs et qualités autrement que par des expériences soigneuses et exactes, et par l’observation des effets particuliers qui résultent des différentes circonstances [où il se trouve]. Et bien que nous devions nous efforcer de rendre tous nos principes aussi universels que possible, en faisant remonter nos expériences jusqu’à l’extrême, et en expliquant tous les effets par les causes les plus simples et les moins nombreuses, il est certain que nous ne pouvons aller au-delà de l’expérience ; et que toute hypothèse qui prétend découvrir les qualités originelles ultimes de la nature humaine doit d’emblée être rejetée comme présomptueuse et chimérique. 

Je ne pense pas qu’un philosophe qui s’appliquerait avec autant de ferveur à expliquer les principes ultimes de l’âme se montrerait un grand maître dans cette science même de la nature humaine qu’il prétend expliquer, ni très connaisseur de ce qui satisfait naturellement l’esprit de l’homme ; car ce désespoir, rien n’est plus certain, a presque le même effet sur nous que la jouissance, et dès que nous savons qu’il est impossible de satisfaire un désir, ce désir lui-même s’évanouit. Quand nous voyons que nous sommes arrivés aux limites extrêmes de la raison humaine, nous nous asseyons satisfaits, quoique, en fait, nous soyons convaincus de notre ignorance, et que nous nous apercevions que nous ne pouvons donner aucune raison de nos principes les plus généraux et les plus subtils au-delà de notre expérience de leur réalité ; ce qui est la raison du simple vulgaire, et aucune étude n’était d’emblée nécessaire pour découvrir que c’est là le phénomène le plus singulier et le plus extraordinaire. Et de même que cette impossibilité de faire davantage de progrès est suffisante pour satisfaire le lecteur, de même l’écrivain peut-il tirer une satisfaction plus délicate du franc aveu de son ignorance, et de sa prudence à éviter cette erreur, où tant sont tombés, d’imposer au monde leurs conjectures et hypothèses comme [si c’étaient] les principes les plus certains. Quand ce contentement et cette satisfaction réciproques peuvent être obtenus entre le maître et l’élève, je ne sais ce que l’on peut réclamer de plus à notre philosophie. 

Mais si cette impossibilité d’expliquer les principes ultimes devrait être estimée être un défaut de la science de l’homme, j’oserai affirmer que ce défaut lui est commun avec toutes les sciences et tous les arts auxquels nous pouvons nous employer, que ce soient celles que l’on cultive dans les écoles des philosophes ou ceux que l’on pratique dans les boutiques des artisans les plus misérables. Aucun d’eux ne peut aller au-delà de l’expérience, ou établir des principes qui ne sont pas fondés sur cette autorité. La philosophie morale, il est vrai, a ce désavantage particulier, que l’on ne trouve pas dans la philosophie naturelle, qu’en recueillant ses expériences, elle ne peut pas les faire à dessein, avec préméditation, et de telle manière qu’elle se satisfasse sur toutes les difficultés particulières qui peuvent surgir. Quand je ne sais comment connaître les effets d’un corps sur un autre dans une situation quelconque, il suffit que je mette ces corps dans cette situation et que j’observe ce qui en résulte. Mais si je tentais de lever de la même manière un doute en philosophie morale, en me plaçant dans le même cas que celui que je considère, il est évident que cette réflexion et cette préméditation troubleraient tant l’opération de mes principes naturels qu’elles rendraient nécessairement impossible la formation d’une conclusion valable à partir du phénomène. Nous devons donc glaner nos expériences, en cette science, par une prudente observation de la vie humaine, et les prendre comme elles apparaissent dans le cours habituel de la vie humaine, dans le comportement des hommes en société, dans les affaires, et dans leurs plaisirs. Quand des expériences de ce genre sont judicieusement rassemblées et comparées, nous pouvons espérer établir sur elles une science, qui ne sera pas inférieure en certitude, et qui sera de beaucoup supérieure en utilité à toute autre science susceptible d’être comprise par l’homme.



Retour au texte de l'auteur: David Hume Dernière mise à jour de cette page le dimanche 3 juin 2007 15:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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