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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Anti-Dühring (1878):
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Une édition électronique réalisée à partir du livre de Friedrich Engels (1878), Anti-Dühring (M. E. Dühring bouleverse la science). Traduction française, 1950.

vii. La genèse de l' « Anti-Dühring »

par E. BOTTIGELLI

En réalité, Engels se fit assez longtemps tirer l'oreille avant de «mordre dans cette pomme acide». Il avait enfin pu, à la fin de 1869, se libérer de ce « travail forcé » à la firme Ermen et Engels auquel il avait sacrifié pendant dix-huit ans avec une abné-gation admirable, afin de pouvoir aider Marx et lui assurer les conditions de vie et de tranquillité nécessaires à la rédaction du Capital. Il n'était certes pas resté inactif pendant toute cette période et il avait pris une large part aux luttes de Marx et de l'Internationale. Mais il avait attendu avec impatience cette libération pour pouvoir se consacrer entièrement au travail idéologique, que Marx accomplissait pour sa part dans le domaine de l'économie, et à la propagande du mouvement ouvrier.

Dès son installation à Londres, en 1870, Engels va se plonger dans des études scientifiques et commencer cette « mue » dont il parle lui-même. il lui semblait en effet plus important de compléter l'arsenal idéologique dont avait besoin le prolétariat que de se lancer dans une lutte dont les objectifs immédiats lui semblaient alors limités. C'est pourquoi il résiste aux instantes sollicitations dont il est l'objet de la part de ses amis qui voudraient le faire élire député socialiste du Wuppertal au Reichstag. Il va certes s'occuper activement du Conseil général de l'Internationale, écrire pendant la guerre de 70 ses remarquables articles de critique militaire dans la Pall-Mall Gazette (1), lutter contre Bakounine; mais, lorsque, après le congrès de La Haye, le siège de l'Internationale quittera Londres, il essaiera de se consacrer à ses études scientifiques qui devaient constituer la base d'un grand ouvrage sur la Dialectique de la nature, dont il ne nous reste que des fragments et qu'il ne devait jamais avoir le temps de mener à bien.

Mais la création récente du parti d'Eisenach, les luttes qu'il avait à mener pour faire triompher sa politique après la fondation de l'Empire, la nécessité où il se trouvait aussi de se démarquer des lassalliens obligèrent Engels à collaborer activement au Volksstaat, à rédiger sa brochure sur la question du logement et à entretenir une correspondance abondante avec les militants qui lui demandaient conseil. Tout en restant en dehors des intrigues intérieures au parti, Marx et Engels restaient attentifs à son évolution. Ils l'avaient montré en intervenant avant le congrès d'unification. Ils pensaient toutefois que le parti ne pouvait que se renforcer en s'aguerrissant et en réglant par lui-même ses difficultés intérieures. C'est pourquoi Engels ne réagit pas particulièrement à l'article d'Abraham Ensz, et, en février 1876, dans un article sur «l'eau-de-vie prussienne au Reichstag », il se contenta encore de faire une allusion méprisante à Dühring.

Cependant, en Allemagne, la situation empirait. Au début de 1876, Liebknecht communiqua à Engels toute une série de lettres d'ouvriers où se reflétait l'influence pernicieuse du cercle Dühring. Au mois de mai, Most envoya à la rédaction du Volksstaat un article qui constituait une véritable apologie de Dühring. Liebknecht le transmit à nouveau avec cette remarque:

« Ci-joint un manuscrit de Most qui te montrera que l'épidémie Dühring a atteint aussi des gens d'ordinaire raisonnables. Il est absolument nécessaire de lui régler son compte (2) »

Engels était en vacances à Ramsgate et il transmet l'envoi de Liebknecht à Marx avec le commentaire suivant:

« Si cela continue, les lassalliens seront bientôt les esprits les plus clairs, parce qu'ils admettent moins d'absurdités et que les œuvres de Lassalle sont les moyens d'agitation les moins nocifs. Je voudrais bien savoir ce que ce Most veut à proprement parler de nous et comment nous devons procéder pour qu'il soit content. Une chose est claire: dans l'esprit de ces gens, Dühring s'est gagné l'immunité à notre égard par ses infâmes attaques contre toi, car si nous ridiculisons ses âneries théoriques, c'est là une vengeance contre ces messieurs! Plus Dühring est grossier, plus nous devons être humbles et débonnaires, et, en fait, c'est une vraie bénédiction que M. Most n'exige pas encore de nous qu'après avoir, avec bienveillance et sans publicité, dévoilé ses bourdes à M. Dühring (comme s'il ne s'agissait que de simples bourdes!) afin qu'il les supprime dans la prochaine édition, nous ne lui baisions pas encore les fesses. Ce type, je veux dire Most, a accompli cette performance de mettre en fiches tout le Capital et pourtant de n'y rien comprendre. Cette lettre le démontre péremptoirement, et elle peint l'individu. Toutes ces âneries seraient impossibles, si, au lieu
de Wilhelm [Liebknecht], il y avait à la tête un homme ayant seulement un peu de discernement théorique qui ne laisserait pas imprimer avec délice toutes les sottises possibles - plus elles sont saugrenues, mieux cela vaut - et ne les recommanderait pas aux ouvriers avec toute l'autorité du Volksstaat. Enfin *, cette histoire m'a mis hors de moi et la question se pose de savoir s'il ne serait pas temps de prendre sérieusement en considération notre position vis-à-vis * de ce monsieur (3).»

Dès le lendemain, Marx répondait à son ami:

« Mon opinion est qu'on ne peut prendre « position vis-à-vis de ces messieurs » qu'en critiquant Dühring sans aucun ménagement. Il est manifeste qu'il a manœuvré parmi ces arrivistes littéraires imbéciles qui lui sont tout dévoués pour éviter une telle critique; de leur côté, ils comptaient sur la faiblesse qui leur est bien connue de Liebknecht. Liebknecht avait, et il faut le lui dire, le devoir de déclarer à ce gaillard qu'il nous avait à plusieurs reprises demandé cette critique et que pendant des années, nous l'avons repoussée comme un travail trop subalterne. La chose, comme il le sait et comme ses lettres le prouvent, n'a paru valoir la peine que lorsqu'en nous envoyant à maintes reprises de ces lettres d'imbéciles, il eut attiré notre attention sur le danger de voir propager des fadaises dans le parti (4).»

Dès lors la décision d'Engels est prise. Dès le 28 mai, il écrit à Marx pour se plaindre qu'il est de nouveau obligé « de laisser tout en plan pour tomber sur le poil de l'ennuyeux Dühring ». Mais déjà il expose son plan d'attaque et, dans la même lettre, il poursuit:

« Quoi qu'il en soit, j'ai l'avantage sur lui maintenant. Mon plan est prêt - j'ai mon plan *. Au début je prends tout ce mic-mac d'une façon purement objective et apparemment sérieuse; puis le traitement s'aggravera à mesure que s'accumuleront les preuves de stupidité d'une part et de banalité d'autre part, et, en fin de compte, cela tombera dru comme grêle. De cette façon, Most et Cie ne pourront plus prétexter le « manque de charité » et Dühring s'entendra quand même dire son fait. Ces messieurs verront que nous avons plus d'un tour dans notre sac pour en finir avec de telles gens (5). »

Ses vacances, Engels va les passer à lire de très près les oeuvres de Dühring, ce qui, comme il le dit, s'accorde parfaitement avec l'ambiance de stupidité générale qui règne aux bains de mer. Et dès son retour à Londres, dans les premiers jours de septembre, il se met à l'œuvre.

Cependant, en Allemagne, Dühring ne désarmait pas. S'il jouissait maintenant d'une certaine influence parmi les cercles sociaux-démocrates, certains lui reprochaient tout de même son attitude à l'égard de Marx. Ce qui l'amenait à affirmer qu'il avait une haute estime pour Marx, mais ne l'empêchait pas de continuer ses attaques, du point de vue de la « science la plus radicale » naturellement, et de se plaindre que l'organe du parti ne lui fasse pas assez de propagande.

A quel point les choses en étaient arrivées, une lettre de W. Bracke à Engels permet de s'en faire une idée:

«Les Berlinois sont tous des avocats empressés de Dühring, et Most l'est aussi. Celui-ci prétend lui avoir fait des reproches à propos de ses attaques contre Marx, à quoi Dühring aurait répondu qu'il avait une très haute estime pour Marx, mais qu'il attaquait toujours, sans considération de personne, là où cela lui semblait nécessaire; qu'on pouvait l'attaquer à son tour et que Fort était tout de même obligé de reconnaître son point de vue comme un point de vue communiste conséquent. J'entends aussi çà et là, dans les milieux de bons camarades des paroles d'approbation en faveur de Dühring. Il me semble établi que Dühring a réformé très considérablement ses opinions, et dans un sens qui en fait un de nos camarades; cela n'exclut pas de lui taper sur les doigts pour des erreurs et des inconvenances. Il a lui-même dit à Most qu'il éprouvait de l'amertume de n'être pas ou à peine pris en considération par le parti et qu'il ne le comprenait guère qu'on l'attaque là où il l'avait mérité.

En tout cas il me paraît nécessaire que le Volksstaat prenne position ... Cependant le crédit de Dühring grandit de plus en plus. Si on doit enfin l'attaquer - chose sur laquelle je ne m'autorise pas à porter un jugement compétent - il faut le faire vite, sans quoi il sera trop tard (6). »

Engels était tout à fait prêt à passer à l'attaque. Pendant son séjour à Ramsgate, il avait longuement réfléchi à son ouvrage. Mais ses études personnelles l'y avaient aussi préparé et il écrivait dès le 28 mai à Marx:

« Pour le Dühring, mon répertoire d'histoire ancienne et mes études de science me rendent de grands services et me facilitent la chose à bien des égards. En particulier dans le domaine des sciences de la nature, je trouve que le terrain m'est devenu beaucoup plus familier, que je peux y évoluer, bien qu'avec précautions, avec quelque liberté et quelque sûreté (7).»

En réalité la rédaction de l'Anti-Dühring va coûter à Engels près de deux ans de travail. Pour l'essentiel la première partie fut commencée en septembre 1876 et probablement terminée en janvier 1877. Elle parut en 19 fois sous le titre « M. Eugen Dühring bouleverse la philosophie» dans l'organe du parti (qui depuis le 1er octobre 1876 s'appelait le Vorwärts) du 1er janvier au 13 mai 1877. Elle comprenait les deux premiers chapitres qui figurent maintenant sous le titre d'Introduction. La deuxième partie fut composée entre juin et août 1877. Le chapitre X « Sur l'Histoire critique » a pour auteur Marx qui en adresse la première partie à Engels dès le 5 mai, tandis que la deuxième partie (l'analyse du Tableau économique de Quesnay) lui parvient le 8 août. Cette section parut sous le titre « M. Eugen Dühring bouleverse l'économie politique» en neuf fois, entre le 27 juillet et le 30 décembre 1877 soit dans l'annexe scientifique, soit dans l'annexe du Vorwärts. Quant à la 3e partie (« M. Eugen Dühring bouleverse le socialisme») sa date de rédaction peut être fixée avec assez de certitude entre la fin d'août 1877 et la fin mars - début avril 1878. Le 30 avril, Engels écrit à Bracke:

«J'en ai heureusement fini - à part la révision des derniers articles - avec M. Dühring et pour rien au monde je ne souhaite continuer à le fréquenter (8).»

Cette partie parut en cinq fois du 5 mai au 7 juillet dans l'annexe du journal.

Engels en avait fini avec Dühring, il n'y reviendra plus.



Notes:

1. Publiés en France en 1947 sous le titre. Notes sur la guerre de 1870-71.
2. Lettre à Engels, du 16 mai 1876.
3. Lettre à Marx, du 24 mai 1876, M. E. W., 34, pp. 12-13.
4. Lettre à Engels, du 25 mai 1876, ibid, p. 14.
5. Lettre à Marx, du 28 mai 1876, ibid, pp. 17-18.
*. En français dans le texte.
6. Lettre à Engels, du 2 août 1876, Briefwechsel mit Bracke, Berlin 1963, pp. 90-91.
7. Lettre à Marx, du 28 mai 1876, M. E. W., 34, pp. 18-19.
8. Briefwechsel mit Bracke, p. 169.

À suivre...

viii. La publication de l' « Anti-Dühring »

Retour à l'auteur: Friedrich Engels Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 mai 2006 19:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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