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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article dÉmile Durkheim (1915), L'Allemagne au-dessus de tout (1915). LA MENTALITÉ ALLEMANDE ET LA GUERRE. Paris: ARMAND COLIN, (collection « Études et documents sur la guerre »), 1915. Reproduction : LA MENTALITÉ ALLEMANDE ET LA GUERRE, Armand Colin (collection « LAncien et le Nouveau »), 1991, 102 pp. Une édition numérique de Bertrand Gibier, bénévole, professeur de philosophie au Lycée de Montreuil-sur-Mer (dans le Pas-de-Calais) Introduction LA CONDUITE DE LALLEMAGNE PENDANT LA GUERRE DÉRIVE DUNE CERTAINE MENTALITÉ Le principal objet des études qui constituent notre collection (Note 1) est de dépeindre lAllemagne telle que la guerre nous la révélée. Déjà, nous avons parlé de son humeur agressive, de sa volonté belliqueuse, de son mépris du droit international et du droit des gens, de son inhumanité systématique, de ses cruautés réglementaires. Mais ces manifestations multiples de lâme allemande, si réelle quen soit la diversité, sont toutes placées sous la dépendance dun même état fondamental, qui en fait lunité. Elles ne sont que des expressions variées dune même mentalité que nous voudrions, dans le présent travail, chercher à atteindre et à déterminer. Cette recherche est dautant plus nécessaire que, seule, elle permet de répondre à une question que se posent encore, à létranger, un certain nombre de bons esprits. Les preuves accumulées qui démontrent ce que lAllemagne est devenue, et qui justifient ainsi les accusations portées contre elle, ont déterminé, même dans les milieux qui lui étaient le plus favorables, un incontestable revirement dopinion. Cependant, une objection nous est souvent faite à labri de laquelle certaines sympathies invétérées essaient encore de se maintenir. Les faits que nous avons allégués ont beau être démonstratifs, on les récuse, sous prétexte quils sont a priori invraisemblables. Il est inadmissible, dit-on, que lAllemagne, qui, hier, faisait partie de la grande famille des peuples civilisés, qui y jouait même un rôle de première importance, ait pu mentir à ce point aux principes de la civilisation humaine. Il nest pas possible que ces hommes que nous fréquentions, que nous estimions, qui appartenaient en définitive à la même communauté morale que nous, aient pu devenir ces êtres barbares, agressifs et sans scrupules quon dénonce à lindignation publique. On croit que notre passion de belligérants nous égare et nous empêche de voir les choses telles quelles sont. Or ces actes, qui déconcertent et que, pour cette raison, on voudrait nier, se trouvent précisément avoir leur origine dans cet ensemble didées et de sentiments que nous nous proposons détudier : ils en dérivent comme une conséquence de ses prémisses. Il y a là tout un système mental et moral qui, constitué surtout en vue de la guerre, restait, pendant la paix, à larrière-plan des consciences. On en savait lexistence et lon nétait pas sans en soupçonner le danger : mais cest seulement pendant la guerre quil a été possible dapprécier létendue de son influence daprès létendue de son action. Cest ce système que résume la fameuse formule quon a pu lire en tête de ces pages. CETTE MENTALITÉ SERA ÉTUDIÉE DAPRÈS TREITSCHKE Pour le décrire, il ne sera pas nécessaire que nous allions en chercher, de-ci de-là, les éléments, pour les assembler ensuite et les rattacher les uns aux autres plus ou moins artificiellement. Il sest trouvé un écrivain allemand qui a exposé, pour son propre compte, ce système avec une pleine et claire conscience des principes sur lesquels il repose et des conséquences quil implique : cest Heinrich von Treitschke dans lensemble de ses ouvrages, mais plus spécialement dans sa Politik (Note 2). Nous ne pouvons donc mieux faire que le prendre pour guide : cest daprès son exposé que nous ferons le nôtre. Nous nous attacherons même à le laisser parler ; nous nous effacerons derrière lui. De cette façon, nous ne serons pas exposés à altérer la pensée allemande par des interprétations tendancieuses et passionnées. Si nous choisissons Treitschke comme objet principal de notre analyse, ce nest pas en raison de la valeur quon peut lui attribuer comme savant ou comme philosophe. Tout au contraire, sil nous intéresse, cest que sa pensée est moins celle dun homme que dune collectivité. Treitschke nest pas un penseur original qui aurait élaboré, dans le silence du cabinet, un système personnel : mais cest un personnage éminemment représentatif et cest à ce titre quil est instructif. Très mêlé à la vie de son temps, il exprime la mentalité de son milieu. Ami de Bismarck, qui le fit appeler en 1874 à luniversité de Berlin, grand admirateur de Guillaume II, il fut un des premiers et des plus fougueux apôtres de la politique impérialiste. Il ne sest pas borné à traduire en formules retentissantes les idées qui régnaient autour de lui ; il a contribué, plus que personne, à les répandre tant par la parole que par la plume. Journaliste, professeur, député au Reichstag, cest à cette tâche quil sest consacré. Son éloquence âpre et colorée, négligée et prenante, avait, surtout sur la jeunesse qui se pressait en foule autour de sa chaire, une action prestigieuse. Il a été un des éducateurs de lAllemagne contemporaine et son autorité na fait que grandir depuis sa mort (Note 3). Mais ce qui montre le mieux limpersonnalité de son uvre, cest que nous allons y trouver, énoncés avec une netteté hardie, tous les principes que la diplomatie allemande et létat-major allemand ont mis ou mettent journellement en pratique. Il a prédit, prescrit même comme un devoir à lAllemagne tout ce quelle fait depuis dix mois, et, de ce devoir, il nous dit quelles sont, suivant lui, les raisons. Toutes les théories par lesquelles les intellectuels allemands ont essayé de justifier les actes de leur gouvernement et la conduite de leurs armées, se trouvent déjà chez lui ; mais elles y sont coordonnées et placées sous la dépendance dune idée centrale qui en rend sensible lunité. Bernhardi, dont on parle tant, nest que son disciple ; cest même un disciple qui sest borné à appliquer, aux questions politiques du jour, les formules du maître, sans y rien ajouter dessentiel : il les a outrées en les vulgarisant. En même temps, parce que le livre de Treitschke date déjà dune vingtaine dannées, la doctrine sy présente à nous débarrassée de diverses superfétations qui la recouvrent aujourdhui et qui en masquent les lignes essentielles. Ainsi sexplique et se justifie notre choix.
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