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Collection « Les auteur(e)s classiques »

NOTES SUR LE CORAN ET AUTRES TEXTES SUR LES RELIGIONS
Mise au point importante


Une édition électronique réalisée à partir des écrits d’Alexis de Tocqueville, NOTES SUR LE CORAN ET AUTRES TEXTES SUR LES RELIGIONS. Présentation et notes de Jean-Louis Benoît. Paris: Les Éditions Bayard, 2007, 175 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation conjointe accordée le 28 mai 2008 par M. Jean-Louis Benoît et Les Éditions bayard de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Mise au point importante

De : Tocqueville, Notes sur le Coran et autres textes sur les religions
à :
Tocqueville un ateo liberale,
une pratique éditoriale qui pose de sérieux problèmes.

En octobre 2008, à mon retour du symposium sur Tocqueville, organisé par la Liberty Fund, à Saint Jacques de Compostelle, sous la direction d'Eduardo Nolla [1], j'ai appris que venait de paraître en Italie un ouvrage dont le titre a immédiatement attiré mon attention: Tocqueville un ateo Liberale.

J'ai donc demandé à une amie universitaire italienne si elle avait entendu parler de l'ouvrage et je lui ai fait part de mes craintes. Après avoir consulté sur le site de l'éditeur la fiche documentaire [2], elle m'écrit le 18 octobre : « Les textes publiés par Ercolani sont presque les mêmes que ceux de ton livre; il est sûr que la logique à laquelle s'inspire le livre est la même que celle de ton travail ».

J’ai donc pris contact avec la responsable des éditions Dedalo, de Bari, qui me répond, le 20 octobre : que le livre du professeur Ercolani, de l'Université d'Urbino est tout à fait différent du mien et entièrement original, de 400 pages (!), dont 100 pages d'introduction (en fait 85 pages d’introduction et 352 en tout !)

Le même jour, Paolo Ercolani m'indique que certes, il a une dette envers moi qu'il a d'ailleurs reconnue dans son livre en citant mes travaux, en me citant dans son introduction, et en indiquant au lecteur tout ce qu'il me doit, avant de me faire part de son estime et de sa reconnaissance... Et il ajoute :

« Mon travail a sans doute une dette envers le vôtre, une dette qui est expressément reconnue de la façon suivante : 1) Tous vos travaux sur Tocqueville ont été abondamment cités ; 2) dans mon introduction de plus de 100 pages vous avez été abondamment cité ; 3) votre travail , A. de Tocqueville: Notes sur le Coran et autres textes sur les religions (Paris 2007), a été aussi cité dans la note de l'éditeur parmi les textes dont on a décidé de tirer les passages de Tocqueville (notamment sur l'Indouisme et l'Islam). Toutes les démarches nécessaires non seulement en ce qui concerne la loi mais au point du vue scientifique ont été accomplies. L'originalité de notre travail (de 352 pages!!!) vous pourrez la vérifier en lisant le volume, une originalitè qui, comme il arrive souvent aux essais, a sans doute des dettes (même avec vous) qui ont été explicitement signalées au lecteur italien ».

La réponse du dottore Ercolani souligne toute la valeur de l'argument de la responsable de l'édition affirmant sans vergogne que le livre est tout à fait original...

Le procédé est évidemment surprenant, tout comme les arguments employés et les façons de faire ! Si Paolo Ercolani était intéressé par le sujet et désireux d’utiliser la quasi-totalité de mon livre, il aurait dû prendre contact avec moi afin que nous décidions des modalités. Quand j’évoque cette éventualité il répond :

« Quant au fait que j'aurais dû vous contacter, eh bien, disons que ce n'est pas ma manière à moi de travailler. J'ai écrit des livres sur plusieurs sujets, avec de très amples bibliographies, et je vous assure que je ne me suis pas mis à appeler au téléphone chaque auteur que j'ai cité dans ma bibliographie ».

Chacun appréciera la courtoisie et la pertinence de la réponse !

À côté de la valeur économique que représente la propriété intellectuelle, il existe une valeur morale infiniment plus importante à mes yeux : l’honnêteté intellectuelle qui relève de la déontologie des authentiques chercheurs.

Il est vrai que, par les temps qui courent, et dans tous les domaines, l’idéologie néolibérale a, depuis trente ans, ouvert en grand les vannes… et que le pillage, sous toutes ses formes, s’est trouvé justifié par et pour les banquiers, hommes d’affaires, politiques dans leur liaison incestueuse avec les précédents, et que, dans les milieux touchant aux médias, à l’édition, le fait de faire des emprunts occultes aux travaux d’autrui, est devenu très courant alors qu’il n’était auparavant que marginal [3].

Le dottore Ercolani a certes, lui, le mérite de citer mon nom et mes travaux, mais il oublie que le code de la propriété intellectuelle n'autorise que des citations courtes, et surtout il reprend, notamment, l’essentiel de l’ossature de mon livre et la quasi-totalité du corpus sur lequel j’ai établi ma problématique d’ensemble [4]. Il emprunte, entre autres, à mon ouvrage les références à l’Abbé Lesueur (précepteur de Tocqueville), les comparaisons établies avec Nietzsche, les liens avec Gobineau. Certaines pages sont des reprises partielles ou importantes de pages entières de mon livre. Quand, au terme d’un développement, il fait référence à mes travaux, le lecteur est bien incapable de distinguer ce qui revient à l’un ou l’autre des deux ”auteurs”, où commence et où finit l’emprunt et sa nature précise. Quant aux notes de bas de page, destinées à expliquer, compléter un point, à la mise en perspective, il arrive qu’elles soient purement et simplement annexées (réécrites) sans être rapportée au véritable auteur... [5]

Revenons au propos initial de mon ouvrage. Ce livre a été, à l'origine, une commande de l’éditeur chez lequel j'avais publié une biographie de Tocqueville [6], à qui j'avais appris qu'il existait des textes de Tocqueville sur l'islam, l'hindouisme, en plus des textes sur le christianisme. La motivation, pour moi, était double : il s'agissait, d'une part, de mettre à la disposition du lecteur et du chercheur des textes difficiles à trouver aujourd'hui [7], et d’autre part de mettre en évidence l’approche sociologique, sociétale et politique et existentielle globale du fait religieux par Tocqueville.

Encore fallait-il agencer l'ensemble des textes sur les trois religions en retenant de l'ensemble du corpus tocquevillien ce qui relevait directement (et parfois indirectement) des religions aussi bien que du fait religieux, ce qui pose un délicat problème de limites s'agissant des différents textes de Tocqueville ayant trait à l'Algérie, à l'islam et au Coran , dans ses notes de voyages que dans ses rapports et sa correspondance ; problème de limites encore dans l'ensemble des textes ayant trait à l'Inde.

Il me fallait placer ces textes dans leur contexte et en proposer une problématique pertinente qui laisserait libre cours à la lecture de chacun et permettrait au chercheur d'avoir accès directement à la totalité (ou à la quasi-totalité) des textes traitant de l'islam et du Coran, de l'hidouisme, du christianisme et des sectes, aussi bien que du catholicisme, et de l'analyse tocquevillienne du fait religieux.

Il s'agissait pour moi, d'autre part, à partir de ce corpus, de m'inscrire en faux, textes en mains, contre la vulgate française et étasunienne qui, fondée sur des préjugés, des arguments préétablis et des lectures partielles, fait de Tocqueville un bon chrétien, un homme religieux, voire un bon catholique, rien n'est plus inexact, l'ensemble des textes l'établit.

Mais tel est le problème avec Tocqueville - qu'il s'agisse de la religion comme du libéralisme ou de l'économie - les analystes partent, trop souvent, de leur propre appareil idéologique à partir duquel ils l'intègrent, bien ou mal, sous une bannière, dans un camp ou un autre, alors que, souvent, il est ailleurs [8]. Ce pourquoi la première tâche du chercheur est de travailler sur l'ensemble du corpus de ses textes ayant trait à une thématique ou une autre dans une perspective diachronique et synchronique ; tel est l'objectif des deux ouvrages rassemblant ses textes sur le fait religieux et sur l'économie.

Quant à l'utilisation faite de Tocqueville sur le plan politique, elle relève généralement de ce qu'un auteur américain a appelé : The Tocqueville Fraud [9].

Pour en revenir à la vulgate religieuse, rappelons, par exemple, la phrase finale de la recension faite par Gilbert Comte, dans Le Monde, des deux volumes du tome XV des Oeuvres complètes, en 1983 : Correspondance de Tocqueville avec Corcelle et Mme de Swetchine : « Saluons donc l'honnête homme, le chrétien capable d'avouer sa détresse »...

Aux États-Unis, les travaux sur Tocqueville et la religion constituent parfois un passage quasi obligé ; Tocqueville y apparaît souvent comme un chrétien fervent, voire un bon catholique, un croyant authentique, alors qu’il est essentiellement agnostique, au sens premier du texte.

Pour lui, aucune connaissance, « gnose » n'est possible ; de Dieu et de l'au-delà, on ne peut absolument rien connaître ; « Le credo lui échappe ».

Le reste relève, pour le pascalien qu'est Tocqueville, d'un autre « ordre », celui de la foi, ce qui nous permet de comprendre pourquoi il affirme simultanément « Je ne suis pas croyant », et, parlant du catholicisme : « la religion que je confesse ». Il s'agit là d'une appartenance choisie [10] - sociologique - à la religion dans laquelle il a été élevé, alors que la hiérarchie catholique [11] ou son ami Corcelle voient en lui « un protestant », ce qui, pour eux, n'est pas un compliment !

Reconnaissons cependant qu’aujourd'hui nombre de tocquevilliens importants admettent que le qualificatif d’« agnostique », que j’ai été le premier à employer, est le plus pertinent ; ce qualificatif, et qui a choqué, dans un premier temps, a fait son chemin – au moins en Europe - mais cependant la vulgate résiste.

Mais si Tocqueville est véritablement agnostique, il n'est absolument pas possible de voir en lui un athée. Le dottore Ercolani a sans doute choisi ce terme pour se démarquer, marquer son originalité par rapport au texte de mon ouvrage, puisqu’il emploie les deux sans établir comment ils sont irréductibles l’un à l’autre. Le terme athée n'en demeure pas moins totalement impropre à qualifier Tocqueville ? les lecteurs s’en convaincront d’eux mêmes en lisant les textes !

Quant à coupler les deux termes « athée » et « libéral », c'est proposer une formule ambiguë, qui laisse perplexe quant à sa signification possible, si tant est qu'elle ait un sens ! Il ne s'agit pas de le présenter comme « un libéral athée » ; quelle est/serait l'acception précise de « libéral » ici ? Un « athée libéral » est-il le contraire d'un athée « non libéral » ? Et, une nouvelle fois, en quel sens...Un «  athée libéral » relève donc de la formule... le problème est de savoir si la formule a un sens.

Mais il faut, pour terminer, en revenir à l'utilisation que Paolo Erciolani fait de mon livre.

En ce qui concerne le contenu, il en reprend l'essentiel - on y retrouve la correspondance avec Gobineau (chapitre I), les textes sur l'hindouisme (chapitre 2), sur l'islam (chapitre 3), les liens démocratie, Église et religion, (chapitre 3 & 4), la guerre scolaire - auquel il ajoute des points de vue empruntés à Pierre Manent, Jean-Claude Lamberti, Bourdon et bien d’autres. Il rédige un chapitre original sur la question romaine et quelques perspectives – principalement italiennes - qui ne sont pas abordées dans mon livre ? c’est là son originalité, son travail propre.

L'objet de mon livre était de permettre au chercheur de mettre en place des analyses et problématiques nouvelles à partir des textes que je mettais à sa disposition ; ce n'est pas là l’essentiel de ce que je découvre dans le livre de Paolo Ercolani ce qui me conduit à m’interroger devant le fait qu’un tel ouvrage puisse être présenté sans susciter le questionnement, l’analyse critique (au double sens du terme) du milieu universitaire italien [12] pour lequel Tocqueville n’est pas un inconnu (d’autant plus que mon livre est aisément accessible, notamment sur internet). Il me reste, enfin, à accorder toute ma confiance à l’intelligence du lecteur, maintenant qu’il peut se reporter aux deux sources, aux deux ouvrages pour se faire son avis personnel.

Jean-Louis Benoît



[1]    Symposium dont le thème était Tocqueville's Voyage.

[2]    Voir.

[3]    On sait qu’aujourd’hui il existe bien des pratiques douteuses, que des thèses sont des compilations, des copier-coller de chapitres entiers de travaux antérieurs et que les chercheurs, à plus forte raison les directeurs de recherches ou ceux qui doivent les valider, ont aujourd’hui à se doter des outils nécessaires à débusquer les emprunts frauduleux. Mais il s’agit là d’une attitude globale caractéristiques des dérives occultes de l’accaparement du bien d’autrui à son propre profit ; à ce niveau il n’existe pas de différence de nature véritable entre les pratiques bancaires qui ont conduit à la crise, celles qui ont conduit à la seconde guerre d’Irak, celles des pirates de la corne de l’Afrique et celles de la mafia.

[4]    Le lecteur pourra vérifier la justesse de mon propos en lisant mon Tocqueville, Notes sur le Coran et autres textes sur les religions, qu’il pourra se procurer chez son libraire ou consulter en ligne à l’adresse suivante et en se reportant à la fiche présentant le livre de Paolo Ercolani sur le site des Éditions Dedalo.

[5]    Ces pratiques deviennent courantes ; j’ai retrouvé des emprunts non référencés à mon introduction et à l’appareil critique que j’avais rédigé pour le tome XIV des Oeuvres Complètes, Correspondance familiale, chez un biographe qui indiquait bien ses emprunts aux universitaires les plus connus, pas aux plus modestes… De même, dans la dernière biographie parue en France, je trouve dans la partie proprement biographique, bien des éléments que j’ai été le premier à révéler dans mon Tocqueville, un destin paradoxal, sans qu’il soit fait état de cette « paternité ».

[6]    Tocqueville, un destin paradoxal, Bayard, 2005.

[7]    Une partie importante des textes sur l’islam et l’hindouisme n’ont été publiés qu’une fois, en 1962, dans le tome III, vol. 1 des Oeuvres Complètes Gallimard, volume difficile a` trouver en dehors des bibliothèques universitaires et de certaines grandes villes.

[8]    Voir par exemple, dans La Revue Tocqueville, Vol. XXIX, no 1, avril 2008, le texte de Christian Bégin, Tocqueville et l’économie politique, qui retient exclusivement tout ce qui va dans le sens d’un Tocqueville économiste libéral, ce qui était dans l’air du temps (d’avant la crise) mais bien loin d’être pertinent et/ou exhaustif (voir Alexis de Tocqueville, Textes économiques, Anthologie critique, Agora, 2004, par Jean‐Louis Benoît et Eric Keslassy), ou encore certaines présentations – françaises – des positions de Tocqueville quant à la colonisation de l’Algérie, qui multiplient les montages, les décontextualisations, les détournements de citations…

[9]    Dont le personnel politique français nous a donné deux remarquables exemples dans les mois écoulés !

[10]   Sur ce point, Tocqueville considère, comme Montaigne, que le plus simple consiste à ne pas renier inutilement la religion dans laquelle on a été élevé.

[11]   Par exemple, Mgr Morichini, légat du pape, lorsque Tocqueville élabore son projet de réforme pénitentiaire.

[12]   Je pourrais en dire autant des recensions parues dans les journaux italiens, mais chacun sait que les journaux se donnent constamment l’excuse de travailler dans l’urgence, ce qui ne fait absolument pas de cet alibi une excuse, mais une pratique discutable.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 23 juin 2009 18:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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