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Collection « Les auteur(e)s classiques »

De la démocratie en Amérique II (1840)
Table analytique du livre II


Une édition électronique réalisée à partir de la 13e édition du livre d’Alexis de Tocqueville (1840), Démocratie en Amérique II publiée du vivant de l'auteur.

CHAPITRE I

DE LA MÉTHODE PHILOSOPHIQUE DES AMÉRICAINS

1º Que les Américains montrent par leurs actes qu'ils ont une méthode philosophique, bien qu'ils n'aient pas d'école ni de doctrine philosophique proprement dite,

2º Que cette méthode consiste principalement à ne puiser ses opinions qu'en soi-même, ainsi que l'indique Descartes.

3º Que c'est principalement dans leur état social qu'ils ont puisé cette méthode et que c'est la même cause qui l'a fait adopter en Europe.

4º Que les Américains n'ont pas fait un si grand usage de cette méthode que les Français : 1. parce qu'ils tiennent de leur origine une religion plus arrêtée, 2. parce qu'ils ne sont pas et n'ont jamais été cri révolution, 3. par suite d'une cause plus géné-rale et plus puissante encore que le vais développer dans le chapitre suivant et qui à la longue doit chez tous les peuples démocratiques borner l'indépendance intellectuelle que l'égalité fait naître.


CHAPITRE II

DE LA SOURCE PRINCIPALE DES CROYANCES CHEZ LES PEUPLES DÉMOCRATIQUES

1º Que l'homme ne peut se passer de croyances dogmatiques: 1. Sans croyances dogmatiques il n'y a pas d'idées communes et par conséquent d'action commune; elles sont donc nécessaires à la société. 2. L'individu ne saurait avoir ni le temps ni la force d'esprit nécessaire pour se faire des opinions qui lui fussent propres sur tous les objets. S'il l'entreprenait il n'aurait jamais que des notions vagues et incomplètes. Les croyances dogmatiques sont donc nécessaires à l'individu.

2º Ainsi, il y aura toujours des croyances de cette espèce. Il ne s'agit que de trou-ver leurs sources.

3º C'est dans l'humanité et non au-delà et au-dessus que les hommes démocratiques placeront l'arbitre de leurs croyances.

4º Dans l'intérieur de l'humanité c'est à la masse seulement que chaque individu remettra le soin de lui former sur un grand nombre d'objets les opinions qu'il ne peut se forger lui-même.

5º L'autorité intellectuelle sera donc différente mais elle ne sera peut-être pas moindre.

6º Loin d'appréhender qu'elle disparaisse, il faut plutôt craindre qu'elle devienne trop grande.


CHAPITRE III

POURQUOI LES AMÉRICAINS MONTRENT PLUS D'APTITUDES ET DE GOÛT POUR LES IDÉES GÉNÉRALES QUE LEURS PÈRES LES ANGLAIS

1º Quel est le fort et le faible des idées générales. Résultat plus grand, moins exact.

2º Que les idées générales naissent principalement des lumières.

3º Cela ne suffit pas pour expliquer pourquoi les Américains et surtout les Français qui n'ont pas plus de lumières que les Anglais montrent beaucoup plus d'aptitudes et de goût que ces derniers pour les idées générales.

Indépendamment de la cause commune des lumières, il faut donc reconnaître ces autres causes-ci:

1º Quand les hommes sont [égaux] leur similitude les porte à concevoir sur eux-mêmes des idées qui leur semblent applicables à toute l'espèce, ce qui leur donne l'habitude et le goût des idées générales en toutes choses.

2º Les hommes étant égaux et faibles on ne voit point d'individus qui les forcent de marcher dans la même voie. Il faut donc imaginer une grande cause qui agisse séparément, mais de la même manière chez chacun d'eux. Cela conduit encore vers les idées générales.

3º Lorsque les hommes ont échappé à l'esprit de classe, de profession, de [caste] pour chercher par eux-mêmes la vérité, ils en sont conduits à étudier la nature même de l'homme, nouvelle fort-ne d'idée générale.

4º Tous les hommes des démocraties sont très occupés pratiquement. Cela leur donne un grand goût pour les idées générales qui donnent beaucoup de produit en peu de temps.

5º Les écrivains des siècles démocratiques veulent comme tous les autres hommes de ces siècles-là des succès rapides et des jouissances présentes. Cela les porte éner-giquement vers les idées générales.

6º [Ainsi], les peuples aristocratiques n'ont pas assez d'estime et ne font pas assez d'usage des idées générales; les peuples démocratiques sont toujours prêts à en faire abus et à s'enflammer indiscrètement pour elles.


CHAPITRE IV

(A) POURQUOI LES AMÉRICAINS N'ONT JAMAIS ÉTÉ AUSSI PASSIONNÉS QUE LES FRANÇAIS POUR LES THÉORIES POLITIQUES

Les Américains n'ont jamais montré la même passion que les Français pour les théories politiques.

Cela vient de ce qu'ils ont toujours fait pratiquement de la politique. Sur ce point leur liberté combattait le goût excessif des idées générales, que leur égalité, toute seule, aurait fait naître. Ceci semble contraire à ce que j'ai dit dans le chapitre précé-dent que c'était la vie pratique des peuples démocratiques qui leur suggérait l'amour de la théorie. Ces deux choses se concilient cependant au moyen d'une distinction.

La vie occupée des peuples démocratiques leur donne en effet le goût des théories, mais non point dans la chose dont ils s'occupent.

Il suffit même de faire qu'ils s'occupent d'une chose pour qu'ils ne reçoivent qu'avec examen les idées générales relatives à cette chose.


CHAPITRE V

COMMENT, AUX ÉTATS-UNIS, LA RELIGION SAIT SE SERVIR DES INSTINCTS DÉMOCRATIQUES

1º J'ai montré qu'il fallait des croyances dogmatiques; les plus nécessaires et les plus désirables sont les croyances dogmatiques en matière de religion. Raisons de croire.

1. Des idées arrêtées sur Dieu et la nature humaine sont nécessaires à tous les hom-mes et tous les jours à chaque homme, et il se trouve qu'il n'y a que peu d'hommes, s'il y en a, qui soient capables d'arrêter par eux-mêmes leurs idées sur ces matiè-res. c'est une science nécessaire à chaque instant à tous et inaccessible au plus grand nombre. Cela est unique. C'est donc dans ces matières qu'il y a le plus à gagner et le moins à perdre à avoir des croyances dogmatiques. 2. Ces croyances particulière-ment nécessaires aux peuples libres. 3. Id., aux peuples démocratiques.

2º Je suis donc porté à rechercher humainement de quelle manière les religions pourraient le plus aisément se montrer dans les siècles d'égalité, où nous entrons.

Développement de ceci:

1. Nécessité que les religions soient fondées sur l'idée d'un être unique imposant en même temps les mêmes règles à chaque homme.
2. Nécessité de dégager les religions des formes, des pratiques, des figures, à mesure que les hommes deviennent plus démocratiques.
3. Nécessité de ne point tenir à rester immobile dans les choses secondaires.
4. Nécessité de chercher à purifier et à régler l'amour du bien-être, sans tenter de le détruire.
5. Nécessité de se concilier la faveur de la majorité.

3º Tout ceci prouvé par l'exemple de l'Amérique.


CHAPITRE VI

COMMENT L'ÉGALITÉ SUGGÈRE AUX AMÉRICAINS L'IDÉE DE LA PERFECTIBILITÉ INDÉFINIE DE L'HOMME

1º L'idée de la perfectibilité humaine est aussi ancienne que l'homme. Mais l'égalité lui donne un caractère nouveau.

2º Chez les peuples aristocratiques où tout est immobile et paraît éternel, où les hommes sont arrêtés dans des castes, des classes ou des professions dont ils ne peuvent sortir, l'idée de la perfectibilité ne se présente que sous une forme confuse et avec des dimensions fort étroites à l'esprit humain,

3º Dans les sociétés démocratiques où chacun peut chercher de son côté à améliorer son sort, où tout change sans cesse et donne lieu à des essais infinis; où chaque individu se comparant à la masse a une idée prodigieuse de la forme de celle-ci, l'idée de la perfectibilité assiège l'esprit humain et y prend des proportions immenses.

4º Ceci montré par l'Amérique.


CHAPITRE VII

COMMENT L'EXEMPLE DES AMÉRICAINS NE PROUVE POINT QU'UN PEUPLE DÉMOCRATIQUE NE SAURAIT MONTRER DE L'APTITUDE ET DU GOÛT POUR LES SCIENCES, LES LETTRES ET LES ARTS

1º Les Américains ont fait faire peu de progrès aux sciences, aux lettres et aux arts.

2º Ceci tient à des causes qui sont plus américaines que démocratiques:

1. Origine puritaine. 2. Nature du pays qui porte trop énergiquement à la seule recherche des richesses. 3. Voisinage de l'Europe scientifique et littéraire et en particulier de l'Angleterre.

3º Pourquoi les autres peuples démocratiques seraient différents :

Un peuple qui serait ignorant et [asservi] en même temps que démocratique, non seulement ne cultiverait pas les sciences, les lettres et les arts, mais n'arriverait jamais à la culture. La loi y déferait sans cesse les fortunes sans qu'il s'en créât de nouvelles. L'ignorance et la [servitude] engourdissant les âmes, le pauvre n'aurait pas même l'idée d'améliorer son sort et le riche de se défendre contre les approches de la pauvreté. L'égalité deviendrait complète et invincible et personne n'aurait jamais ni le temps ni le goût de se livrer aux travaux et aux plaisirs de l'intelligence. Mais il n'en est pas de même d'un peuple qui devient démocratique en restant éclairé et libre. Pourquoi:

1) Comme chacun conçoit l'idée du mieux et a la liberté d'y tendre, il se fait un effort général vers la richesse. Comme chacun en est réduit à ses propres forces, on atteint la richesse suivant qu'on a des facultés naturelles plus ou moins grandes. Et comme l'inégalité naturelle est très grande, les fortunes deviennent très inégales et la loi des successions n'a plus pour effet que d'empêcher la perpétuité des biens dans les familles. Du moment où l'inégalité des fortunes existe, il y a des hommes de loisir et du moment (lue des hommes ont du loisir, ils tendent d'eux-mêmes vers les travaux et les plaisirs de J'intelligence. Dans une société démocratique éclairée et libre, les hommes de loisir n'auront ni les biens communs, ni la tranquillité parfaite, ni les intérêts qu'ont les membres d'une aristocratie, mais ils [seront] bien plus nombreux.

2) Non seulement le nombre de ceux qui peuvent occuper leur intelligence est plus grand, mais les plaisirs et les travaux de l'intelligence sont suivis par une foule d'hommes qui ne s'en mêleraient aucunement.

Dans les sociétés aristocratiques:

1. Utilité du savoir qui se manifeste à tous et qui excite tous à tâcher d'acquérir quelques connaissances.
2. Mélange perpétuel de toutes les classes, rapprochement continuel de toits les hommes, émulation, ambition, envie, qui fait que même l'ouvrier prétend donner quelque culture à son intelligence.
3. Du moment où la foule s'entraîne aux travaux de l'intelligence, une multitude s'y livre avec ardeur pour obtenir de la gloire, de la puissance, de la richesse. L'activité démocratique se montre là comme ailleurs. La production est immense.

Conclusion. Les sociétés démocratiques éclairées et libres ne négligent point les sciences, les arts et les lettres, seulement elles les cultivent d'une manière qui leur est propre.


CHAPITRE VIII

POURQUOI LES AMÉRICAINS S'ATTACHENT PLUTÔT À LA PRATIQUE DES SCIENCES QU'À LA THÉORIE

1º Chez les peuples démocratiques, chacun veut juger par soi-même, on n'aime point à croire personne sur parole, on ne se paye point de grands mots. Tous ces instincts se retrouvent dans le monde scientifique, et donnent aux sciences chez ces peuples-là une marche libre, sure, expérimentale, mais moins haute.

2º Trois parties distinctes dans les sciences, une purement théorique [et abstraite], une autre théorique mais plus proche de la pratique, une dernière absolument pratique.

Les Américains excellent dans les deux dernières et négligent la première, pourquoi:

1. Il faut de la méditation pour faire du progrès dans la portion la plus théorique des sciences. Le mouvement perpétuel qui règne dans les sociétés démocratiques ne permet pas de s'y livrer. Il en ôte le temps et aussi le désir. Dans des sociétés où presque tout le monde agit sans cesse, on a peu d'estime pour la méditation.

2. c'est l'amour haut et désintéressé de la vérité qui pousse l'esprit humain vers la portion abstraite des sciences. Ces grandes passions scientifiques se montrent plus rarement dans les siècles démocratiques que dans les autres, pourquoi:

1) Parce que l'état social ne porte pas aux grandes passions en général, et ne maintient pas les âmes sur un ton aussi haut.

2) Parce que les hommes qui vivent dans les sociétés démocratiques sont saris cesse pressés de jouir, mécontents de leur place et aspirant a en changer, ne sont portes à n'estimer les sciences que comme (les moyens d'aller par des chemins plus aisés et plus courts à la richesse. Ils récompensent donc les savants dans cet esprit, et les poussent sans cesse de ce côté.

3) Dans les siècles démocratiques, il faut que le gouvernement fasse tous ses efforts pour soutenir l'étude théorique des sciences. L'étude pratique se développe d'elle-même.

4) Si les hommes se détournaient entièrement de la théorie pour ne s'occuper que de la pratique, ils pourraient redevenir d'eux-mêmes presque barbares. Exemple de la Chine.


CHAPITRE IX

DANS QUEL ESPRIT LES AMÉRICAINS CULTIVENT LES ARTS

1º Les institutions et l'état social démocratique font tendre l'esprit humain vers l'utile plutôt que vers le beau en fait d'art. J'établis cette idée sans la prouver. Le reste du chapitre la commente ou y ajoute.

2º 1. Dans les aristocraties, les artisans indépendamment du désir de gagner de l'argent, ont leur réputation individuelle et la réputation de leur corps à garder. La visée des arts est de faire un petit nombre de chefs-d’œuvre, plutôt qu'un grand nombre d’œuvres imparfaites. Il n'en est plus ainsi quand chaque État ne forme plus un corps et change sans cesse de membres. 2. Dans les aristocraties les consommateurs sont en petit nombre, très riches et très difficiles. Dans les démocraties, ils sont en très grand nombre, malaisés et ayant presque toujours plus de besoins que de moyens. Ainsi la nature du producteur et du consommateur se combine pour augmenter le produit des arts et en diminuer le mérite.

3º Une tendance analogue des arts dans les temps démocratiques, c'est feindre dans leurs produits une richesse qui ne s'y trouve pas,

4º Dans les beaux-arts cri particulier, l'état social et les institutions démocratiques font viser à l'élégant et au joli plutôt qu'au grand; à la représentation du corps plutôt qu'à celle de l'âme, ils [s']écartent de l'idéal et [sel concentrent dans le réel.


CHAPITRE X

POURQUOI LES AMÉRICAINS FONT DE SI PETITS ET DE SI GRANDS MONUMENTS

1º Dans les sociétés démocratiques, les individus sont très faibles, mais l'État est très grand. L'imagination se réserve quand on songe à soi-même, elle s'étend sans mesure quand on s'occupe de l'État. Dans ces sociétés-là, on voit un petit nombre de très petits monuments et une multitude de très grands. Exemple des Américains qui le prouve.

2º Les grands monuments ne prouvent rien non plus sur la prospérité, les lumières et la grandeur réelle de la nation. Exemple des Mexicains et des Romains qui le prouve.


CHAPITRE XI

PHYSIONOMIE LITTÉRAIRE DES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

1º Les Américains n'ont pour ainsi dire pas de littérature. Tous leurs ouvrages littéraires leur viennent d'Angleterre, ou sont écrits dans le goût anglais.

2º Ceci tient à des causes particulières et passagères et ne doit pas nous empêcher de rechercher quelle est la littérature naturelle à la démocratie.

3º Tous les rangs sont marqués et les hommes immobiles à leur place, la vie littéraire comme l'existence politique sont concentrées dans une classe supérieure. De là des règles fixes; des habitudes littéraires traditionnelles, l'art, la délicatesse, le fini des détails, le goût du style, de la forme...

4º Quand les rangs sont confondus, les talents et les écrivains ont des origines diverses, une éducation différente, ils changent sans cesse, on ne peut donner que peu de temps aux plaisirs de l'esprit... De là, absence de règles, mépris du style, rapidité, fécondité, liberté.

5º Il y a un moment où le génie littéraire de la démocratie et celui de l'aristocratie se rejoignent, époque courte et brillante, littérature française du XVIIIe siècle.


CHAPITRE XII

DE L'INDUSTRIE LITTÉRAIRE DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

La démocratie ne fait pas seulement pénétrer le goût des lettres dans les classes industrielles, elle introduit l'esprit industrie] dans la littérature.

Les lecteurs étant très nombreux et très faciles à contenter a cause du besoin absolu qu'ils ont du nouveau, on peut faire sa fortune en produisant sans cesse une foule d'œuvres nouvelles mais imparfaites, On arrive ainsi assez aisément à une petite gloire et à une grande fortune.

Les littératures démocratiques pour un petit nombre de grands écrivains fourmillent de vendeurs d'idées.


CHAPITRE XIII

COMMENT IL EST UTILE D'ÉTUDIER LA LITTÉRATURE GRECQUE ET LATINE DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

1º Que les sociétés antiques ont toujours formé (le véritables aristocraties, malgré leur apparence démocratique.

2º Que leur littérature y a toujours été a l'état aristocratique, à cause de la rareté des livres.

3º Que leurs auteurs montrent, en effet, très en relief les qualités naturelles à ceux qui écrivent dans les temps d'aristocratie.

4º Qu'il est donc très à propos de les étudier dans les temps démocratiques.

5º Cela ne veut pas dire qu'il faille jeter tout le monde dans l'étude du grec et du latin,

Ce qui est bon à la littérature peut n'être pas approprié aux besoins sociaux et politiques.

Dans les siècles démocratiques il importe a l'intérêt des individus et à la sécurité de l'État que les études soient plus industrielles que littéraires.

Mais il faut que dans ces sociétés il y ait des écoles où l'on puisse se nourrir de la littérature antique.

Quelques universités [excellentes], et fun moi illisible] littéraire feraient mieux pour cela que la multitude de nos mauvais collèges.


CHAPITRE XIV

COMMENT LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE A MODIFIÉ LA LANGUE ANGLAISE

1º Modification que l'anglais a éprouvée en Amérique.

2º Cause démocratique de cela:

1. Les peuples démocratiques changent sans cesse leurs mots, parce que chez eux les choses remuent sans cesse. Ainsi, grand nombre de mots nouveaux, caractères des langues démocratiques.

2. Caractère de ces mots nouveaux. lis se rapportent la plupart aux besoins de l'industrie, à la science de l'administration.

3. Origine de ces mots. Peu d'étymologies savantes. Quelques emprunts faits aux langues vivantes. Surtout, conquête sur soi-même.

Trois moyens de conquérir sur soi-même: 1) Remettre en usage des [organismes lecture conjecturale] oubliés. 2) Faire entrer dans la circulation générale avec un sens figuré des expressions propres à une science ou à une Profession. 3) Donner à un mot en usage un sens inusité. c'est la méthode la plus suivie et la plus facile, mais aussi la plus dangereuse. En doublant ainsi le sens d'un mot, on rend incertains celui qu'on lui laisse et celui qu'on lui donne.

4. Ce qui fait que les dialectes et les patois disparaissent avec les institutions aristocratiques.

5. Ce qui fait que toutes les classifications artificielles et conventionnelles des mots disparaissent également à la même époque.

6. Pourquoi la démocratie multiplie les mots abstraits, en généralise l'usage et en amène l'abus.


CHAPITRE XV

DES SOURCES DE LA POÉSIE DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

1º Définition de la poésie. Recherche et peinture de l'idéal. Objet du chapitre. Rechercher si parmi les actions, les sentiments et les idées des peuples démocratiques, il s'en trouve quelques-uns qui prêtent à l'idéal et puissent servir de source à la poésie.

2º Les peuples démocratiques ont naturellement moins de goût pour l'idéal à cause des passions qui les attachent sans cesse à la poursuite du réel.

3º De plus il y a plusieurs objets propres à la peinture de l'idéal qui leur manquent.

1. Les religions s'ébranlent.
2. Elles se simplifient.
3. Les hommes se désintéressent du passé.
4. Ils trouvent difficilement matière à idéal dans le présent parce qu'ils sont tout petits et se voient très clairement les uns les autres.

4º La plupart des sources américaines de la poésie tarissent donc, mais d'autres s'ouvrent.

1. Les hommes des siècles démocratiques s'occupent volontiers de l'avenir.
2. Si les individus sont petits, la société leur apparaît et prête à la poésie. Chaque nation se voit elle-même.
3. On aperçoit le genre humain et on peut le peindre.
4. Il n'y a pas de divinité intégrale; mais la figure de Dieu est plus grande et plus claire et sa place, relativement à l'ensemble des affaires humaines, plus reconnaissable.
5. L'homme extérieur ne prête point mais les poètes descendent dans le domaine de l'âme et là ils trouvent à peindre non seulement les sentiments d'un homme en particulier, mais de l'homme en général, dont J'égalité fait concevoir l'image et auquel elle intéresse.

Ainsi la démocratie ne fait point disparaître tous les objets qui prêtent à l'idéal. Elle les rend moins nombreux et plus grands.


CHAPITRE XVI

POURQUOI LES ÉCRIVAINS ET LES ORATEURS AMÉRICAINS SONT SOUVENT BOURSOUFLES

1º Les hommes qui vivent dans les démocratiques [sic] n'ont que de très petites idées qui se rapportent à eux-mêmes ou de très générales. Dès qu'on les sort d'eux-mêmes, ils veulent du gigantesque.

2º Leurs écrivains leur en donnent volontiers parce qu'ils ont des instincts semblables et de plus parce qu'ils ont le goût démocratique de réussir vite et à peu de frais.

3º Chez les peuples démocratiques, les sources poétiques sont belles, mais rares. On les a bientôt épuisées. Et alors on se jette dans le monstrueux et l'imaginaire.


CHAPITRE XVII

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE THÉÂTRE DES PEUPLES DÉMOCRATIQUES

1º c'est sur le théâtre que se fait d'abord sentir le contrecoup littéraire de la révolution politique.

Les spectateurs sont entraînés du côté de leurs goûts secrets sans avoir le temps de se reconnaître.

2º La révolution littéraire se fait plus soudainement au théâtre qu'ailleurs.

Dans les aristocraties même le peuple a sa voix au théâtre. Quand l'état social se démocratise le peuple y devient souverain et renverse les lois littéraires de l'aristocratie par émeute.

3º C'est au théâtre que la révolution littéraire est toujours le plus visible. Le théâtre met en relief la plupart des qualités et tous les défauts inhérents aux littératures démocratiques.

1. Mépris de l'érudition. Point de sujets antiques.
2. Sujets pris dans la société présente et présentant ses incohérences.
3. Peu de règles fixes.
4. Style négligé.
5. In vraisemblances.

4º Les Américains montrent tous ces instincts quand ils vont au théâtre, mais ils y vont peu. Pourquoi.


CHAPITRE XVIII

DE QUELQUES TENDANCES PARTICULIÈRES AUX HISTORIENS DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

1º Les historiens aristocratiques attribuent tous les événements à quelques hommes. Les historiens démocratiques sont portés à nier l'influence particulière des hommes sur la destinée de l'espèce et du peuple et à ne rechercher que des causes générales. Il y a exagération des deux côtés. Dans tous les événements, une part doit être attribuée aux faits généraux et une autre aux influences particulières. Mais le rapport varie suivant les temps. Les faits généraux expliquent plus de choses dans les siècles démocratiques et les influences particulières moins.

2º Les historiens démocratiques ne sont pas seulement portés à attribuer chaque fait à une grande cause, mais encore à lier entre eux les faits et à produire des systèmes historiques.

3º Non seulement ils sont enclins à contester à des individus le pouvoir de conduire les peuples, mais ils sont facilement amenés à contester aux peuples la faculté de modifier eux-mêmes leur destinée et ils les soumettent à une sorte de fatalité aveugle.


CHAPITRE XlX

DE L'ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE AUX ÉTATS-UNIS

1º Les discussions du Parlement anglais ne sont dirigées que par quelques hommes, ce qui les rend claires, nettes et serrées. Pourquoi n'en est-il pas de même au Congrès ?

1. Dans les pays aristocratiques, les membres de la législature étudient d'avance et plus longtemps l'art parlementaire. Cette raison est bonne, mais insuffisante.
2. L'habitude de hiérarchie et de subordination qu'ont les hommes dans une société aristocratique les suit dans l'Assemblée. Il n'en est pas de même dans les pays démocratiques.
3. Les députés aristocratiques étant tous beaucoup par eux-mêmes, se consolent aisément de ne point jouer de rôle dans l'Assemblée et n'en veulent point de médiocre. Les députés démocratiques n'ont dans le pays que le rang qu'ils ont dans l'Assemblée, cela les pousse nécessairement en avant.
4. Ils sont de plus poussés par les électeurs à parler et comme ils dépendent beaucoup plus des électeurs ils leur cèdent sur ce point.

2º Voilà le petit côté des discussions démocratiques. Voici le grand:

1. Comme il n'y a pas de classes distinctes les orateurs parlent toujours à la nation et de la nation tout entière.
2. Comme ils ne peuvent s'appuyer sur des privilèges de biens, de corps ou de personnes, ils sont obligés de remonter jusqu'aux vérités générales que fournit l'examen de la nature humaine. Cela donne un grand caractère de grandeur à leur éloquence et pousse ses effets jusqu'aux limites du monde.


CHAPITRE XX

DE L'INDIVIDUALISME DANS LES PAYS DÉMOCRATIQUES

1º Ce que c'est que l'individualisme, comment il diffère de l'égoïsme et finit par y rentrer.

2º L'individualisme est une maladie propre au cœur humain dans les temps démocratiques, pourquoi ?

1. La démocratie fait oublier les aïeux.
2. Elle cache les descendants.
3. Elle sépare des contemporains en détruisant les classes et en rendant les hommes indépendants les uns des autres.

3º Dans les siècles démocratiques l'homme est donc sans cesse ramené sur lui seul et à ne s'occuper que de lui seul.

4º Cela est surtout ainsi à l'entrée des siècles démocratiques à cause des jalousies et des haines que la révolution démocratique a fait naître.


CHAPITRE XXI

COMMENT LES AMÉRICAINS COMBATTENT L'INDIVIDUALISME PAR DES INSTITUTIONS LIBRES

1º Le despotisme tend à isoler sans cesse les hommes. Il est donc particulièrement dangereux dans les temps où l'état social a la même tendance.

2º La liberté est, au contraire, particulièrement nécessaire dans ces temps-là. Pourquoi:

1. En occupant les citoyens des affaires publiques, elle les tire d'eux-mêmes.
2. En leur faisant traiter en commun leurs affaires, elle leur fait sentir leur dépendance réciproque.
3. En faisant dépendre du public le choix des magistrats, elle donne à tous ceux qui ont quelque ambition le désir de servir leurs semblables pour mériter leur choix.

3º Exemple de tout ceci tiré des États-Unis. Comment les Américains ne se sont pas seulement contentés pour combattre l'individualisme de créer une liberté nationale, mais ont établi les libertés provinciales.


CHAPITRE XXII

DE L'USAGE QUE LES AMÉRICAINS FONT DE L'ASSOCIATION DANS LA VIE CIVILE

1º Il ne s'agit point ici d'associations politiques. J'ai traité ce sujet dans le premier ouvrage.

2º Les Américains sont tout à la fois le peuple le plus démocratique et celui qui fait le plus d'usage de l'association. Ces deux choses se tiennent en effet.

1. Dans les pays aristocratiques il y a des associations permanentes et formées composées de quelques hommes puissants et de tous ceux qui dépendent d'eux.

2. Dans les pays démocratiques, où tous les citoyens sont égaux et faibles, il faut qu'il se fasse des associations passagères et volontaires, ou la civilisation ce en péril.

3. Non seulement il faut des associations industrielles, mais des associations morales et intellectuelles. Pourquoi:

1) Pour que les sentiments et les idées se renouvellent et que l'esprit humain se développe, il faut que les hommes agissent sans cesse les uns sur les autres.
2) Or, dans les pays démocratiques il n'y a que le gouvernement qui ait naturellement cette puissance d'action. Et il l'exerce toujours incomplètement et tyranniquement.

3º Il faut donc que les associations viennent y remplacer les individus puissants qui dans les aristocraties se chargent de faire mettre en lumière des sentiments et des idées.

4º Résumé: pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que, parmi eux, l'art de s'associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l'égalité.


CHAPITRE XXIII

RAPPORT DES ASSOCIATIONS ET DES JOURNAUX

1º Quand les hommes sont indépendants les uns des autres, on ne peut en faire agir un grand nombre en commun, qu'en persuadant chacun d'eux à part mais simultanément de l'utilité de l'entreprise. Et il n'y a qu'un journal qui puisse aller ainsi déposer en même temps une même pensée dans mille oreilles. Les journaux sont donc nécessaires en proportion que les conditions sont plus égales.

2º Un journal ne suggère pas seulement un même dessein en même temps à un grand nombre d'hommes, il leur fournit les moyens d'exécuter en commun les desseins qu'ils eussent conçus d'eux-mêmes.

1. D'abord il les fait connaître les uns aux autres et il les met en contact.
2. Ensuite il les lie ensemble, il fait qu'ils se parlent sans se voir et marchent d'accord sans s'être réunis.
3. Puisque les journaux croissent avec les associations il est facile de comprendre qu'il doit y avoir d'autant plus de journaux chez un peuple que la centralisation y est moins grande. Car chaque canton forme alors une association permanente où le besoin d'un journal se fait sentir, bien plus que quand il n'y a que la grande association nationale.
4. Puisqu'un journal représente toujours une association, cela explique pourquoi la presse est d'autant plus forte que l'égalité est plus grande et chaque individu plus faible. Le journal [entraîne lecture conjecturale] chacun de ses lecteurs au nom de tous les autres.


CHAPITRE XXIV

RAPPORT DES ASSOCIATIONS POLITIQUES ET DES ASSOCIATIONS CIVILES

1º Quand les hommes ont contracté l'habitude des associations dans la vie civile, cela leur donne de grandes facilités pour s'associer dans la vie politique.

2º Les associations politiques sont de leur côté très puissantes pour donner aux hommes la pensée et l'art de s'associer dans la vie civile.

1. La politique fournit des intérêts communs à une multitude d'hommes à la fois, leur fournit des occasions naturelles de s'associer, ce qui généralise la théorie de l'association et la fait étudier.
2. On ne peut en général se familiariser avec la théorie des associations qu'en risquant son argent. Les associations sont des écoles gratuites d'association.

3º Les associations politiques neutralisent donc à la longue la plupart des maux qu'elles font. Car si elles exposent la tranquillité de l'État, elles multiplient le nombre des associations civiles qui favorisent cette tranquillité.


CHAPITRE XXV

COMMENT LES AMÉRICAINS COMBATTENT L'INDIVIDUALISME PAR LA DOCTRINE DE L'INTÉRÊT BIEN ENTENDU

1º À mesure que les hommes sont plus égaux et plus détachés de leurs semblables, l'idée du dévouement devient plus étrangère et il est plus nécessaire de montrer comment l'intérêt particulier se confond avec l'intérêt général.

2º C'est ce qu'on fait en Amérique. Non seulement la doctrine de l'intérêt bien entendu y est professée ouvertement, mais elle y est universellement admise.

3º La doctrine de l'intérêt bien entendu ce la mieux appropriée aux besoins d'un peuple démocratique et c'est vers elle que les moralistes de notre temps doivent se tourner.


CHAPITRE XXVI

COMMENT LES AMÉRICAINS APPLIQUENT LA DOCTRINE DE L'INTÉRÊT BIEN ENTENDU EN MATIÈRE DE RELIGION

1º Si la doctrine de l'intérêt bien entendu n'avait en vue que cette vie, elle serait loin de suffire; il faut donc voir si elle n'est pas contraire aux religions qui font agir en vue de l'autre.

2º Si on y regarde de près on verra que l'intérêt est le mobile de presque tous les hommes religieux, et le levier dont se sont servis presque tous les fondateurs de religion. La doctrine de l'intérêt bien entendu n'est donc pas contraire cri elle-même aux religions, puisque les religions ne font que l'appliquer d'une autre manière.

Il est facile de plus de prouver que les hommes qui l'adoptent sont [plus] disposés que d'autres à se soumettre aux croyances et aux pratiques religieuses.

3º Exemples des Américains.


CHAPITRE XXVIl

DU GOÛT DU BIEN-ÊTRE MATÉRIEL EN AMÉRIQUE

1º Le goût du bien-être matériel est, universel en Amérique. Pourquoi ?

1. Dans les aristocraties, les hautes classes n'ayant jamais acquis le bien-être ni craint de le perdre, portent volontiers leurs passions ailleurs, et plus haut. Les basses classes, n'ayant point l'idée d'améliorer leur sort et n'étant pas assez près du bien-être pour le désirer, leur imagination est rejetée vers l'autre monde.

2. Dans les siècles démocratiques au contraire, chacun s'efforce d'atteindre le bien-être ou craint de le perdre. Cela tient sans cesse l'âme en haleine de ce côté.


CHAPITRE XXVIII

DES EFFETS PARTICULIERS QUE PRODUIT LA PASSION DES JOUISSANCES MATÉRIELLES DANS LES SOCIÉTÉS DÉMOCRATIQUES

Quand une aristocratie se livre à la passion des jouissances matérielles, elle vise à des plaisirs extraordinaires, elle tombe dans mille excès qui font honte à la nature humaine et troublent la société.

Dans les pays démocratiques le goût des jouissances matérielles est une passion universelle, incessante, niais contenue. Tout le monde la conçoit et s'y livre sans cesse, mais elle ne porte personne à de grands excès. On y cherche à satisfaire aisément et sans frais les moindres besoins, plutôt qu'à s'y procurer de grands plaisirs.

Cette espèce de passion des jouissances matérielles peut se concilier avec l'ordre et jusqu'à un certain point avec la religion et la morale. Elle ne déprime pas toujours les âmes, niais elle les amollit et détend saris bruit leurs ressorts.


CHAPITRE XXIX

(A) POURQUOI CERTAINS AMÉRICAINS FONT VOIR UN SPIRITUALISME SI EXALTÉ

Quoique les Américains aient pour passion dominante l'acquisition des biens de ce monde, le spiritualisme se montre de temps en temps chez tous et exclusivement chez quelques-uns avec des formes singulières et une ardeur qui va souvent près de l'extravagance. Camp-meetings. Sectes bizarres.

Ces effets différents naissent de la même cause: l'âme a des besoins naturels qu'il faut satisfaire. Si on veut l'emprisonner dans la contemplation des besoins du corps, elle finit par échapper et dans son élan elle ne s'arrête pas même aux limites du sens commun.


CHAPITRE XXX

DE L'INQUIÉTUDE DU CŒUR EN AMÉRIQUE

Quoique les Américains soient un peuple très prospère, ils paraissent toujours inquiets et soucieux; ils changent sans cesse de places, de carrières, de désirs. Cela vient principalement de ces causes-ci:

L'égalité fait prédominer l'amour des jouissances de ce monde.

Or, 1º Les gens qui se renferment dans la poursuite des jouissances de ce monde sont toujours pressés par l'idée de la brièveté de la vie. Ils craignent toujours d'avoir manqué le plus court chemin qui pouvait les conduire au bonheur.

2º Le goût des jouissances matérielles donne de vifs désirs, mais porte à se rebuter aisément. Car il ne faut pas que l'effort qu'on fait pour atteindre la jouissance surpasse la jouissance.

3º L'égalité suggère mille fois plus de désirs qu'elle n'en peut satisfaire. Elle excite l'ambition et la trompe. Les hommes peuvent parvenir à tout, mais leur faiblesse individuelle et la concurrence les bornent.


CHAPITRE XXXI

COMMENT LE GOÛT DES JOUISSANCES MATÉRIELLES S'UNIT CHEZ LES AMÉRICAINS À L'AMOUR DE LA LIBERTÉ ET AUX SOINS DES AFFAIRES PUBLIQUES

La liberté est utile à la production du bien-être chez tous les peuples, mais principalement chez les peuples démocratiques.

Cependant, il arrive souvent, chez ces peuples, que le goût excessif du bien-être fait abandonner la liberté. Les hommes sont si préoccupés de leurs petites affaires privées qu'ils regardent comme du temps perdu le soin qu'ils donnent aux grandes affaires publiques. Cela les livre aisément au despotisme d'un homme ou à la tyrannie d'un parti. Les Américains donnent l'exemple contraire. Ils s'occupent attentivement et avec la même ardeur des affaires publiques et de leurs intérêts prives, ce qui fait bien voir que dans leur esprit ces deux choses se tiennent.


CHAPITRE XXXII

COMMENT LES CROYANCES RELIGIEUSES DÉTOURNENT DE TEMPS EN TEMPS L'ÂME DES AMÉRICAINS VERS LES JOUISSANCES IMMATÉRIELLES

En Amérique le dimanche et l'emploi qu'on en fait interrompent chaque semaine le cours des pensées et des goûts purement matériels. Il en coupe la chaîne. Avantages particuliers de ceci.

L'état social démocratique porte l'esprit humain vers les opinions matérialistes en développant quelquefois outre mesure le goût du bien-être. c'est là la tendance contre laquelle il faut lutter, de même que dans les temps d'aristocratie il faut s'opposer à un excès contraire.

Effet des religions qui est de maintenir le spiritualisme en honneur.

Les religions sont donc particulièrement nécessaires chez les peuples démocratiques, Comment le gouvernement de ces peuples peut faire pour maintenir les religions et les opinions spiritualistes qu'elles suggèrent.


CHAPITRE XXXIII

COMMENT L'AMOUR EXCESSIF DU BIEN-ÊTRE PEUT NUIRE AU BIEN-ÊTRE

C'est l'âme qui apprend au corps l'art de se satisfaire. On ne peut négliger l'une jusqu'à un certain point, sans diminuer les moyens de satisfaire l'autre.


CHAPITRE XXXIV

COMMENT DANS LES TEMPS D'ÉGALITÉ ET DE DOUTE, IL IMPORTE DE RECULER L'OBJET DES ACTIONS HUMAINES

Dans les siècles de foi les hommes s'habituent à diriger toutes les actions de ce monde en vue de l'autre. Cela leur donne certaines habitudes et les porte à se fixer également des buts très éloignés dans la vie et d'y marcher obstinément.

Dans les siècles d'incrédulité au contraire les hommes sont naturellement portés à ne vouloir songer qu'au lendemain. La grande affaire des philosophes et des gouvernants dans les siècles d'incrédulité et de démocratie doit donc être de reculer aux yeux des hommes l'objet des actions humaines.

Moyens qu'ils peuvent prendre pour y réussir.


CHAPITRE XXXIV (bis)

POURQUOI, CHEZ LES AMÉRICAINS, TOUTES LES PROFESSIONS HONNÊTES SONT RÉPUTÉES HONORABLES

En Amérique, tout le monde travaille ou a travaillé. Cela réhabilite l'idée du travail.

En Amérique, les fortunes étant toutes médiocres et passagères, l'idée du salaire se joint forcément à l'idée du travail.

Du moment où le travail est honorable et où tout travail est rétribué, toutes les professions prennent un air de famille. Le salaire est un trait commun qui se trouve dans la physionomie de toutes.


CHAPITRE XXXIV (ter)

CE QUI FAIT PENCHER PRESQUE TOUS LES AMÉRICAINS VERS LES PROFESSIONS INDUSTRIELLES

La démocratie ne multiplie pas seulement le nombre des travailleurs; parmi les différents travaux, elle fait choisir aux hommes ceux du commerce et de l'industrie.

Presque toutes les passions que l'égalité fait naître conduisent de ce côté. L'amour des jouissances matérielles, l'envie de jouir vite, l'amour des jeux de hasard.

Dans les pays démocratiques, les riches eux-mêmes sont sans cesse entraînés vers ces carrières. La démocratie les détourne de la politique. Elle fait du commerce et de l'industrie les objets les plus brillants. Dans les pays démocratiques les riches ont toujours peur de déchoir en richesse. Exemple des Américains.


CHAPITRE XXXIV (quarto)

DE LA CONSTITUTION ARISTOCRATIQUE DE QUELQUES INDUSTRIES DE NOS JOURS

J'ai montré comment la démocratie favorisait les développements de l'industrie, je vais faire voir par quel chemin détourné l'industrie ramène à son tour vers l'aristocratie.

On a découvert de nos jours que quand chaque ouvrier ne s'occupait jamais que du même détail, l'ensemble de l'œuvre était plus parfait.

On a découvert également que pour faire à bon marché il fallait entreprendre sur-le-champ sur une très vaste échelle.

La première de ces deux découvertes rabaisse, ruine et abrutit l'ouvrier. La seconde élève sans cesse le maître. Elles introduisent les principes de l'aristocratie dans la classe industrielle. Or, à mesure que la société en général devient plus démocratique, le besoin en objets manufacturés à bon marché se généralisant et devenant plus vif, les deux découvertes ci-dessus ont une application plus fréquente et plus rigoureuse.

L'égalité disparaît donc de la petite société à mesure qu'elle s'établit dans la grande.


CHAPITRE XXXV

COMMENT LES MŒURS S'ADOUCISSENT À MESURE QUE LES CONDITIONS S'ÉGALISENT

1º L'égalité adoucit les mœurs d'une manière indirecte, en donnant le goût du bien-être, l'amour de la paix et de toutes les professions qui ont besoin de la paix.

2º Elle les adoucit directement.

Lorsque les hommes sont divisés en castes, ils ont un sentiment fraternel pour le membre de leur caste, mais ils regardent à peine comme des hommes tous les autres.

Quand tous les hommes sont semblables ce qui se passe en eux les avertit de ce qui doit se passer dans tous les autres et ils ne sauraient être insensibles à aucune misère. Ils ne sont pas dévoués, mais ils sont doux. Exemple des Américains.


CHAPITRE XXXVI

COMMENT LA DÉMOCRATIE REND LES RAPPORTS HABITUELS DES AMÉRICAINS PLUS SIMPLES ET PLUS AISÉS

Dans les aristocraties fondées uniquement sur la naissance, personne ne pouvant ni monter ni descendre, les rapports des hommes entre eux sont peu fréquents mais ils ne sont pas contraints.

Dans les aristocraties fondées principalement sur l'argent comme celle des Anglais, l'orgueil aristocratique demeure, mais les limites de l'aristocratie étant devenues douteuses, chacun craint que sa familiarité ne soit surprise. L'on évite le contact d'un inconnu ou l'on reste glacé devant lui.

Quand il n'y a plus de privilèges de naissance ni de privilège d'argent comme en Amérique, les hommes se mêlent volontiers et s'abordent familièrement.


CHAPITRE XXXVII

POURQUOI LES AMÉRICAINS FONT VOIR PEU DE SUSCEPTIBILITÉ DANS LEUR PAYS ET SE MONTRENT SI SUSCEPTIBLES DANS LE NOTRE

Quand les hommes d'éducation et de fortune diverses se rencontrent dans les mêmes lieux, les lois du savoir-vivre ne sont plus fixes, on les observe mal vis-à-vis des autres et l'on ne se blesse point qu'elles ne soient pas observées à votre égard. Cela est vrai surtout des sociétés démocratiques libres où tous les hommes occupes ensemble de grandes affaires oublient aisément l'extérieur des actions pour ne songer qu'aux actions elles-mêmes.

Cela explique la tolérance et la simplicité des Américains les uns pour les autres.

Mais pourquoi ces mêmes Américains sont-ils intolérants et empruntés en Europe ? Parce qu'il reste des traces de règles et des fragments d'étiquette parmi nous. Les Américains ne sachant comment se retrouver dans une société si différente de la leur, sont sans cesse embarrassés, pointilleux, hautains.


CHAPITRE XXXVIII

CONSÉQUENCES DES TROIS CHAPITRES PRÉCÉDENTS

Les hommes des démocraties montrent naturellement de la pitié les uns pour les autres, ayant entre eux des rapports fréquents et aisés, ne s'irritant pas aisément les uns contre les autres, il est naturel qu'ils aiment à s'entraider dans leurs besoins. c'est ce qui arrive aux États-Unis.

Dans les démocraties on accorde rarement de grands bienfaits, mais on rend saris cesse de bons offices. Il est rare qu'un homme s'y montre dévoué, mais tous sont serviables.


CHAPITRE XXXIX

COMMENT LA DÉMOCRATIE MODIFIE LES RAPPORTS DU SERVITEUR ET DU MAÎTRE

1º Caractère de la domesticité dans les siècles aristocratiques.

1. Les serviteurs forment une classe à part qui a ses gradations, ses préjugés, son opinion publique.
2. La perpétuité et l'immobilité des classes fait qu'il y a des familles de serviteurs qui restent pendant des siècles à côté de familles de maîtres. De là naît une confusion de sentiments, d'opinions, d'intérêts entre eux.
3. Dans ces temps-là il est facile d'obtenir une obéissance respectueuse, prompte et facile, parce que chaque maître pèse sur la volonté de ses serviteurs avec tout le poids de l'aristocratie.

2º Caractère de la domesticité démocratique. Point de dévouement, mais une obéissance exacte naissant non d'une générale du maître sur le serviteur, mais du contrat librement consenti.

3" Domesticité transitoire, ou tout est confus.. Le maître veut trouver dans ses serviteurs le dévouement qui naissait de l'état social aristocratique, et les serviteurs ne veulent pas même accorder l'obéissance qu'ils ont promise.


CHAPITRE XL

COMMENT LES INSTITUTIONS ET LES MŒURS DÉMOCRATIQUES TENDENT À ÉLEVER LE PRIX ET À RACCOURCIR LA DURÉE DES BAUX

Dans les aristocraties les fermages s'acquittent non seulement en argent, mais en respect, en affection, en services. Sous la démocratie ils ne s'acquittent qu'en argent.

Un lien permanent n'existant plus entre les familles et la terre, le propriétaire et le fermier sont des étrangers qui se rencontrent par hasard pour discuter une affaire.

Les fortunes se divisant le propriétaire a toujours envie d'acquérir et peur de perdre. il §tipule rigoureusement tout ce à quoi il a droit.

Le propriétaire et le fermier ont des habitudes d'esprit et une Situation sociale analogues entre deux citoyens égaux et malaisés. L'objet d'un contrat de louage ne saurait erre que de l'argent.

Quand on a cent fermiers, on fait volontiers des sacrifices pécuniaires pour acquérir leur bienveillance. On ne se soucie pas de la bienveillance d'un unique fermier.

Lorsque la démocratie a fait pénétrer l'idée de l'instabilité dans tous les esprits, on a une horreur instinctive pour un contrat même avantageux qui doit durer longtemps.


CHAPITRE XLI

INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE SUR LES SALAIRES

La démocratie a pour tendance générale et permanente de rapprocher l'ouvrier du maître et d'égaliser de plus en plus leurs profits.

Ceci est la règle générale, mais dans l'industrie, telle qu'elle est constituée de nos jours dans quelques-unes de ses parties, le contraire se fait voir.

C'est là un fait exceptionnel, mais très redoutable et d'autant plus redoutable qu'il est exceptionnel.


CHAPITRE XLII

INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE SUR LA FAMILLE

Après avoir montré comment l'égalité modifiait les rapports des citoyens, je veux pénétrer plus avant et faire voir comment elle agit sur les rapports des parents.

Le père dans la famille aristocratique n'est pas seulement l'auteur de la famille, il en est le chef politique, le pontife...

La démocratie détruit tout ce qu'il y avait de politique et de conventionnel dans son autorité; mais elle ne détruit pas cette autorité, elle lui donne seulement un autre caractère.

Le magistrat a disparu, le père reste.

Ainsi des frères, le lien artificiel qui unissait les frères dans la famille aristocratique est détruit. Le lien naturel devient plus fort.

Ceci est applicable à toutes les associations qui se fondent sur des sentiments naturels, La démocratie relâche les liens sociaux, elle resserre les liens naturels.


CHAPITRE XLIII

ÉDUCATION DES JEUNES FILLES AUX ÉTATS-UNIS

Liberté des jeunes filles aux États-Unis. Fermeté et froideur de leur raison. Elles ont des mœurs pures plutôt que des esprits chastes.

Les Américains ont voulu qu'elles se réglassent elles-mêmes. Ils ont fait un appel continuel à leur raison individuelle.

Éducation démocratique nécessaire pour préserver les femmes des dangers que les mœurs démocratiques font naître.


CHAPITRE XLIV

COMMENT LA JEUNE FILLE SE RETROUVE SOUS LES TRAITS DE L'ÉPOUSE

L'Américaine fait de la demeure de ses parents un lieu de liberté et de plaisir. Elle mène dans la demeure de son mari une vie claustrale.

Ces deux états si différents sont moins contraires qu'on ne l'imagine. Les Américaines passent naturellement par l'un pour arriver à l'autre.

c'est dans l'indépendance de leur première jeunesse et dans l'éducation virile qu'elles y ont reçue qu'elles ont acquis l'expérience, la force sur elles-mêmes et l'[abnégation lecture conjecturale] avec lesquelles elles se soumettent sans hésiter et sans murmurer aux exigences de l'état de mariage.


CHAPITRE XLV

COMMENT L'ÉGALITÉ DES CONDITIONS CONTRIBUE À MAINTENIR LES BONNES MŒURS EN AMÉRIQUE

Le climat, la race et la religion ne suffisent pas pour expliquer la grande régularité des mœurs des États-Unis. Il faut recourir à l'état social et politique.

Comment la démocratie favorise la régularité des mœurs.

1º Elle empêche le désordre avant le mariage, parce qu'on peut toujours s'épouser.

2º Elle l'empêche après.

1. Parce qu'on s'est aimé et choisi et qu'il est à croire qu'on se convient.
2. Parce que se fût-on trompé l'opinion publique n'admet plus que vous manquiez à des engagements librement pris.

3º Autres causes:

1. Occupations continuelles des hommes et des femmes.
2. Nature de ces occupations qui leur enlève le goût aussi bien que le temps de se livrer sans retenue à leurs passions.

4º Pourquoi ce qui se passe en Europe et en France est contraire a ceci, et ce qui fait que nos mœurs sont devenues plus relâchées à mesure que notre état plus démocratique.


CHAPITRE XLVI

COMMENT LES AMÉRICAINS COMPRENNENT L'ÉGALITÉ DE L'HOMME ET DE LA FEMME

1º L'homme et la femme ne se mêlent jamais en Amérique moins que partout ailleurs.

2º Le pouvoir marital y est fort respecté.

3º Cependant les Américains se sont bien plus efforcés qu'on ne l'a fait en Europe d'élever la femme au niveau de l'homme, mais c'est dans le monde intellectuel et moral.


CHAPITRE XLVII

COMMENT L'ÉGALITÉ DIVISE NATURELLEMENT LES AMÉRICAINS EN UNE MULTITUDE DE PETITES SOCIÉTÉS PARTICULIÈRES

Dans les pays aristocratiques, chaque classe forme comme une grande amitié naturelle ou les hommes sont obligés de se voir et de se rencontrer.

Quand il n'y a plus de classes qui tiennent forcément un certain nombre d'hommes ensemble, ce n'est plus que le caprice, l'instinct, le goût qui les rapprochent, ce qui multiplie à l'infini les sociétés particulières.

Les Américains qui se mêlent sans cesse les uns aux autres pour traiter les affaires communes, se mettent soigneusement à part avec un petit nombre d'amis pour jouir de la vie privée.


CHAPITRE XLVIII

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES MANIÈRES AMÉRICAINES

Les manières sortent du fond même des mœurs et résultent de plus quelquefois d'une convention arbitraire entre certains hommes.

Les hommes des pays démocratiques n'ont pas naturellement les manières grandes parce que leur vie est petite.

De plus ils n'ont pas de manières savantes parce qu'ils ne peuvent s'entendre sur l'établissement de la règle du savoir-vivre. Il y a donc toujours de l'incohérence dans leurs manières surtout tant que dure la révolution démocratique.

Que les manières aristocratiques disparaissent sans retour avec l'aristocratie, qu'on n'en conserve pas même le goût ni l'idée. Il ne faut pas trop s'en affliger, mais il est permis de le regretter.


CHAPITRE XLIX

DE LA GRAVITÉ DES AMÉRICAINS ET POURQUOI ELLE NE LES EMPÊCHE PAS DE FAIRE SOUVENT DES CHOSES INCONSIDÉRÉES

Les Américains sont graves parce qu'ils s'occupent sans cesse de choses sérieuses, et ils sont inconsidérés parce qu'ils n'ont qu'un instant d'attention à donner à chacune d'elles.


CHAPITRE L

POURQUOI LA VANITÉ NATIONALE DES AMÉRICAINS EST PLUS [INQUIÈTE, PLUS INSTABLE] ET PLUS QUERELLEUSE QUE CELLE DES ANGLAIS

La vanité nationale des Anglais est mesurée et hautaine, elle n'accorde ni ne demande rien.

Celle des Américains ce quêteuse, querelleuse et inquiète.

Les mœurs anglaises ont pris sur ce [point] le tour d'idées de l'aristocratie qui possédant des avantages incalculables et inaliénables en jouit avec insouciance et avec orgueil.

Les Américains ont également transporté les habitudes de leur vanité privée dans leur vanité nationale.


CHAPITRE LI

COMMENT L'ASPECT DE LA SOCIÉTÉ AUX ÉTATS-UNIS EST TOUT À LA FOIS AGITÉ ET MONOTONE

L'aspect de la société américaine est agité parce que les hommes et les choses changent sans cesse de place, elle est monotone parce que tous les changements sont pareils.

Il n'y a en Amérique à vrai dire qu'une seule passion, l'amour des richesses, ce qui est monotone. Cette passion pour se satisfaire a besoin de petits actes réguliers et méthodiques, ce qui est encore monotone.


CHAPITRE LII

DE L'HONNEUR AUX ÉTATS-UNIS ET DANS LES SOCIÉTÉS DÉMOCRATIQUES

L'honneur découle des besoins particuliers de certains hommes. Toute association particulière a son honneur. Ceci prouvé par l'honneur féodal applicable à l'honneur américain.

Ce qu'il faut entendre par l'honneur américain ?

1º Il diffère de l'honneur féodal par la nature de ses prescriptions.

2º Il en diffère encore par le nombre de ces prescriptions, par leur clarté, leur précision; la puissance avec laquelle il les fait suivre.

Cela de plus en plus vrai à mesure que les citoyens deviennent plus semblables et les nations plus pareilles.


CHAPITRE LIII

POURQUOI ON TROUVE AUX ÉTATS-UNIS TANT D'AMBITION ET SI PEU DE GRANDES AMBITIONS

Il faut bien distinguer la révolution démocratique de la démocratie.

Tant que dure la révolution les ambitions sont très grandes, mais elles deviennent petites, quand la révolution est terminée. Pourquoi ?

Quand la démocratie n'empêche pas les ambitions de naître, elle leur donne au moins un caractère particulier. Quel est ce caractère ?

Qu'il faut chercher de nos jours à épurer et à régler l'ambition, mais qu'il faut craindre de la trop gêner et de l'appauvrir.


CHAPITRE LlV

DE L'INDUSTRIE DES PLACES CHEZ CERTAINES NATIONS DÉMOCRATIQUES

Chez tous les peuples démocratiques, le nombre des ambitions est immense. Mais chez tous, l'ambition ne prend pas les mêmes chemins.

En Amérique chaque homme cherche à s'élever par l'industrie ou le commerce. En France, dès que le désir apparaît de s'élever au-dessus de son état, il demande un emploi public.

Les princes favorisent cette tendance et ils ont tort. Car le nombre des places qu'ils peuvent donner ayant une limite, et le nombre de ceux qui désirent les places croissant sans limites, ils doivent nécessairement se trouver bientôt devant un peuple de solliciteurs mécontents.


CHAPITRE LV

POURQUOI LES GRANDES RÉVOLUTIONS FINISSENT PAR ÊTRE très RARES DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

Ce chapitre serait très long à analyser, le temps me manquant, je le passe.


CHAPITRE LVI

POURQUOI LES PEUPLES DÉMOCRATIQUES DÉSIRENT NATURELLEMENT LA PAIX ET LES ARMÉES DÉMOCRATIQUES NATURELLEMENT LA GUERRE

Ce que j'ai dit dans le chapitre précédent explique pourquoi les peuples démocratiques aiment naturellement la paix.

Les armées démocratiques aiment naturellement la guerre, parce que dans ces armées l'ambition est bien plus générale et plus [ardente] que dans toutes les autres et qu'en temps de paix l'avancement y est plus difficile.

Ces dispositions contraires du peuple et de l'armée font courir de grands périls aux sociétés démocratiques.

Remèdes indiqués pour conjurer ces périls.


CHAPITRE LVII

QUELLE EST, DANS LES ARMÉES DÉMOCRATIQUES, LA CLASSE LA PLUS CONSERVATRICE ET LA CLASSE LA PLUS RÉVOLUTIONNAIRE

Dans les armées démocratiques, les soldats ne devant passer que peu de temps sous les drapeaux, et y étant attirés malgré eux, ne prennent jamais complètement l'esprit de l'armée. Ce sont eux qui restent le plus citoyens. Les officiers au contraire n'étant quelqu'un dans la société que par leur grade militaire s'attachent entièrement à l'armée et peuvent devenir comme étrangers au pays. Cependant leur esprit turbulent est souvent affaibli par la stabilité et les douceurs de la situation déjà acquise.

Ces raisons ne se rencontrent pas pour tempérer l'ambition inquiète des sous-officiers. Ceux-là forment l'élément réellement militaire et révolutionnaire des armées démocratiques.


CHAPITRE LVIII

CE QUI REND LES ARMÉES DÉMOCRATIQUES PLUS FAIBLES QUE LES AUTRES ARMÉES EN ENTRANT EN CAMPAGNE ET PLUS REDOUTABLES QUAND LA GUERRE SE PROLONGE

1º Une armée démocratique est plus impropre qu'une autre à la guerre après une longue paix.

1. Parce que tous les officiers dans tous les grades y sont vieux.
2. Parce qu'ils se sont laissé pénétrer par le malaise des mœurs nationales.
3. Parce qu'ils sont tombés moralement au-dessous du niveau du peuple.

2º Une armée démocratique est plus redoutable qu'une autre après une longue guerre.

1. Parce que la concurrence étant immense et la guerre poussant chacun de force à sa place, on finit toujours par y découvrir de grands hommes de guerre.
2. Parce que la guerre ayant détruit toutes les industries paisibles devient la seule industrie, de sorte que c'est vers elle seule que se tournent tous les ambitieux et inquiets désirs que fait naître l'égalité.
De la discipline militaire dans les armées démocratiques.


CHAPITRE LIX

QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA GUERRE DANS LES SIÈCLES DÉMOCRATIQUES

Tous les peuples démocratiques se ressemblent par l'amour de la paix. 'Fous sont également portés au commerce par l'égalité et le commerce lie leurs intérêts de manière qu'ils ne peuvent point faire du mal au voisin, sans se nuire. Les guerres sont donc rares. Mais elles sont grandes parce que deux peuples ne peuvent pas se mettre à peu pour la faire.

Les hommes étant semblables, ce n'est plus que le nombre qui décide, d'où l'obligation des grandes armées. Ainsi les armées semblent croître à mesure que l'esprit militaire s'éteint.

Il se fait également de grands changements dans la manière de faire la guerre.

Un peuple démocratique peut plus aisément qu'un autre conquérir et être conquis. [C'est] pourquoi on marche toujours sur les capitales. Pourquoi les guerres civiles deviennent très difficiles.

Retour à l'auteur: Alexis de Tocqueville Dernière mise à jour de cette page le samedi 16 décembre 2006 7:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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