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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Lettres et pamphlets (1818-1825 ?) Préface.
Une édition électronique réalisée à partir du livre Paul-Louis Courier (1772-1825), Lettres et pamphlets. Préface d'Émile Faguet. Édition publiée à Paris chez Nelson / Lutetia, 1917, 480 pages. Une édition numérique réalisée grâce à la précieuse coopération de M. Roger Deer, ingénieur retraité et bénévole.
Préface d'Émile Faguet
Paul-Louis COURIER DE MÉRÉ est un Tourangeau. Il naquit à Paris en 1772 et fut élevé à Méré dans le château de son père. Il fut destiné à la profession militaire et, en effet, il entra à lécole dartillerie de Châlons. Mais il naimait guère que la littérature an-tique et en particulier le grec. Dans sa vie de garnison, cest au grec quil sappliquait de tout son coeur. Il fit la guerre en Allemagne, puis en Italie; mais il abandonna décidément le métier militaire, quil goûtait peu, en 1809. Dès lors, il se consacra entière-ment à ses études de littérature. La Restauration ou-vrit pour lui une nouvelle carrière. Il fit une guerre implacable, par articles de journaux et par pamphlets, au nouveau gouvernement, vivant tantôt à Paris et tantôt et le plus souvent en son domaine de La Chavonnière, près de Tours. Il sétait marié avec la fille de lhelléniste Clavier. Ses pamphlets furent multipliés, très agressifs et retentissants. Il eut le sort des pamphlétaires sous les gouvernements forts et autoritaires. Il fut souvent mis en prison et persé-cuté de toutes les manières. Il mourut assassiné le 10 avril 1825, très probablement à linstigation et sous linfluence de sa femme, et ce fut un drame de famille sur lequel règne encore une certaine obscurité.
Ses pamphlets les plus célèbres sont Lettre à Messieurs de lAcadémie des Inscriptions, dans laquelle il exhale sa rancune contre cette compagnie qui avait repoussé sa candidature ; Simple discours de Paul--Louis, vigneron de La Chavonnière, à loccasion dune souscription pour lacquisition du château de Chambord; Pétition à la Chambre des députés pour les villageois que lon empêche de danser; Livret de Paul-Louis, vigneron, pendant son séjour à Paris; Gazette de village, Pamphlet des pamphlets, etc. En dehors de ses pamphlets, il faut signaler, de Paul-Louis Courier, sa traduction de Daphnis et Chloé, sa traduction de lÂne de Lucius de Patras, Notes sur les amours de Théagène et Chariclée, etc.
Paul-Louis Courier est un maître de la satire et un maître de la langue française. Son arme ordinaire est lironie, quil manoeuvre merveilleusement, mais dont il a un peu abusé. On peut dire que presque jamais il ne faut prendre ce que dit Paul-Louis Courier dans son droit sens, mais dans le sens inverse du texte. Le jeu est cruel pour ses adversaires, mais un peu pénible pour ses lecteurs. Lironie est tou-jours une sorte de contorsion de lesprit qui fatigue un peu, quelque grâce que lartiste y puisse garder. Paul-Louis Courier na pas laissé de tomber dans lin-convénient que lironie porte en quelque sorte avec elle. Il déchire trop savamment son adversaire et lon souhaiterait quelquefois une attaque plus immé-diate et plus directe.
Ce que lon doit admirer sans réserve, cest sa langue, qui est admirable. Elle sest assouplie au contact de la langue grecque, qui est la plus souple et la plus ductile de toutes, et elle sest modelée aussi et surtout sur la langue classique française de la meilleure époque. Paul-Louis Courier disait quil nest femme-lette du XVII° siècle qui ne lemportât pour le style sur les écrivains les plus fameux du XIX°, et cétait précisément la langue de ces femmelettes quil savait parler.
Originalement, du reste; car il a un style beaucoup plus court et coupé que celui du XVII° siècle en général et il se rapproche beaucoup plus de La Bruyère que de Pascal. Sa devise était : Peu de matière et beau-coup dart , et il entendait par là la concision savante et le ramassé ingénieux. A coup sûr sa qualité essen-tielle nest pas le naturel; mais son art est si habile que cest un plaisir artistique aussi que de le suivre en ses réussites et en ses succès et de le reconnaître hardi, adroit et infaillible.
Le curieux cest que sous ce vêtement si laborieu-sement et si ingénieusement ajusté il joue le person-nage de paysan tourangeau. Il y a là une sorte de disparate ; mais cette disparate elle-même est pi-quante. Cest un jeu qui entretient et renouvelle la curiosité. Il y a toujours de lambigu chez Courier; mais cet ambigu est singulièrement piquant.
Il y a plus de naturel dans ses lettres, très travail-lées, aussi mais moins contournées, et qui sont, comme la affirmé Sainte-Beuve, ce quil a écrit de meilleur. Cest quil y peint et cest quil y raconte. Or nul ne savait mieux peindre une scène ni mieux raconter une anecdote. Sa précision élégante et son tour brusque, vif et alerte, y font merveille.
Cétait un satirique pittoresque, combinaison qui est très rare. La satire chez lui glisse naturellement à la peinture comique, à quelque chose comme la cari-cature de bon goût, pour revenir à la satire proprement dite avec une égale aisance. Il faut remonter aux Provinciales pour trouver cette facilité et cette variété dans lart de se moquer des hommes.
Ce qui lui a manqué, mais ce que, du reste, il na pas cherché, cest léloquence directe, allant droit devant elle dun mouvement rapide, emporté et puis-sant, et que lon trouve précisément à maintes re-prises dans les Provinciales. Il nétait pas celui qui semporte et se laisse emporter; il était celui qui rit, qui se force un peu à rire et qui a quelquefois dans le rire un peu de ricanement.
Son caractère nétait pas bon. Solitaire, triste, désagréable aux siens, il vivait dans une sorte de noir chagrin qui ne pouvait inspirer que cette gaieté amère que nous venons dindiquer et qui est le contraire même dc la gaieté véritable. Au fond il naime que le grec et la satire. Il fut bien le contraire de ce Lamar-tine qui disait : La satire, jamais ! et sa devise était plutôt : La satire, toujours. Il était merveilleux à saisir, non seulement le ridicule, mais lodieux des gens, et par conséquent à multiplier les occasions de souffrir lui-même. Cette disposition donne un cer-tain talent et même quelquefois un certain génie, comme le prouve lexemple de Swift ; mais elle est bien féconde en tourments.
Linfluence littéraire de Paul-Louis Courier a été assez considérable et na pas été excellente. Il a donné le goût de lironie perpétuelle à beaucoup de ses admirateurs, et lironie perpétuelle est un détestable
X procédé littéraire. Elle est un de ces défauts qui fati-guent autant, et ce nest pas peu dire, ceux qui en sont témoins que ceux qui en sont atteints. La Bruyère disait : Quoi donc ? Vous plairait-il de vous expli-quer. Ah ! jentends ! Vous voulez, Acis, me dire quil fait froid. Que ne dites-vous : il fait froid ? Vous mépargneriez la peine de faire le tour de votre pensée pour la voir.
Lironie a même cet inconvénient quelle habitue à la chercher même où elle nest pas, et sa punition pour ainsi dire est quon linvente, plutôt que de sen passer dans tel passage où lauteur na point songé à en mettre. Elle est en cela maîtresse dincertitude. Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
Mais il ne faut pas rendre Paul-Louis Courier res-ponsable de tous les honnêtes gens quelle, a gâtés.
Son influence na pas consisté seulement en cela. Elle a consisté en ceci surtout, quil a appris à ses contem-porains une excellente langue quils ne connaissaient plus guère. Lui et Charles Nodier ont, pour ainsi dire, et on peut le dire sans exagération, réintégré la langue française en France. Ils ont fait appel à toutes les ressources de la vieille langue pour renouveler et réparer celle que lon parlait en 1820. Ils ont injecté dans la littérature un sang ancien qui était si pur quil sest trouvé quil a donné à la littérature un tempérament nouveau. Cest le vrai et cest limmense service quils ont rendu à la littérature française.
Il faut dire encore à lhonneur de Paul-Louis Courier quil a été pour ainsi parler un bon chef décole des journalistes, un bon maître de choeur de la littérature politique par le seul respect quil avait de sa plume. Lui qui ne respectait quasi rien a eu la vénération de bien dire. Il a eu horreur de cette im-provisation négligée que la littérature politique et la polémique semblent comme autoriser. Il voulait quune brochure, quun article fût une oeuvre dart et si possible un chef-doeuvre littéraire. Cette leçon et cet exemple nont pas été perdus, et à partir de lui les Français se sont piqués dêtre aussi bons écri-vains dans un journal que dans un livre. Un grand nombre du moins, et après avoir cité Armand Carrel, J.-J. Weiss, Prévost-Paradol, Edmond About, il y en aurait dautres encore à nommer. A cet égard Paul-Louis Courier a fondé mieux quune école il a fondé une rivalité. Mille sont venus qui, les yeux fixés sur lui, ont voulu être, comme écrivains, ou ses égaux ou dignes de lui. Et si mille lont entrepris, quelques-uns y ont réussi. Cest sans doute un grand point.
De nos jours il faut lire Paul-Louis Courier sans épouser ses haines, ce qui du reste est assez facile, sans lui emprunter ce tour laborieusement ironique, qui, même chez lui, est fatigant et qui, imité, serait pénible, mais en goûtant sa langue excellente, la vi-vacité pétulante et gaie de son style, son goût pur et qui rappelle ces Grecs qui lui étaient si chers. Paul-Louis Courier est un de ces auteurs quil est excellent que lon pratique et que lon goûte sans quà ladmiration se mêle un secret désir de les imiter, parce que plus encore quand il sagit de lui que quand il sagit dun autre, la fameuse formule est très juste: On nimite que les défauts.
ÉMILE FAGUET.
Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 mai 200611:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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