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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Marc Backer BIRD [1807-1880], L'indépendance haïtienne. [1876] (2013)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marc Backer BIRD [1807-1880], Notes historiques. L'indépendance haïtienne. Traduit de l'Anglais. Première édition, 1876. Port-au-Prince, Haïti: Les Éditions Fardin, 2013, 360 pp. Une édition numérique réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti.

[1]

Notes historiques.
L’INDÉPENDANCE HAÏTIENNE

Introduction

REMARQUES GÉNÉRALES SUR
LES AVANTAGES D’UNE INDÉPENDANCE
NATIONALE
.


« The realm of liberty alone I call my home ! » *

Nous ne prétendons pas donner dans cet ouvrage une histoire complète et détaillée d’Haïti. On n’y trouvera que les faits les plus saillants, arrangés en général dans un ordre chronologique.

Le but que nous nous proposons est de prouver que l’esprit d’émulation, si clairement établi par le Souverain Etre, et qui résulte des divisions et des indépendances existant actuellement parmi les hommes, est des plus salutaires et des plus puissants. Cet esprit d’émulation fait toujours ressortir non seulement les capacités de notre être, mais aussi les vastes ressources de la nature en général. Ce même principe qui est développé avec activité entre familles et communautés est évidemment destiné à maintenir la famille humaine dans l’activité la plus productive. L’histoire a démontré que ce principe moteur a toujours été, dans tous les âges, le plus puissant' et le plus actif parmi les nations les plus avancées du monde. Son pouvoir est aussi grand maintenant qu’il l’ait jamais été dans aucune époque de l’histoire humaine ; le fait est, que ce principe ne s’est jamais développé avec [2] autant de rapidité que dans l’état actuel d’avancement et de progrès.

On trouve aujourd’hui encore des particularités distinctives attachées aux différentes divisions de l’humanité. On les reconnaît chez l’Anglo-Saxon, chez le Celte, chez les branches Teutoniques, ainsi que chez d’autres peuples. Nous signalons ce fait sans vouloir renverser les barrières ou mettre des entraves aux rapports mutuels qui existent dans ces divisions. Il semble donc très-naturel que l’Afrique et ses descendants forment une branche distinctive — ayant aussi ses particularités — de l’humanité, non dans un sens exclusif, mais simplement dans le sens expliqué par Dieu lui-même, savoir que les familles, les tribus, et les nations ont toujours instinctivement admis et reconnu une fraternité universelle.

L’Indépendance, telle qu’elle est donnée au monde par la Providence, manifeste un principe juste et salutaire, et en elle, il n’y a rien d’exclusif ; le bien qu’elle fait aux nations est évident et manifeste, l’espoir qu’elle produit est grand et ferme, il forme l’un des principaux ressorts du bien-être général de l’univers. Nous pouvons donc admettre comme un grand fait que les divisions civilisées de l’humanité n’auraient jamais atteint leur position actuelle, et que le beau spectacle du développement humain dans un sens commercial, scientifique, et religieux ne serait pas ce qu’il est maintenant sans l’indépendance. Le pouvoir moteur qui a toujours existé chez toutes ces divisions, a produit cet ensemble admirable qui se présente maintenant aux regards de l’intelligence universelle.

Ayant émis ces opinions, on trouvera que « L’homme Noir » a pour but de montrer que les divisions de la race humaine forment une partie de l’ordre naturel des choses, et que l’Afrique et ses nombreux descendants, parsemés un peu partout, forment une partie importante de ce grand tout.

[3]

Personne ne doit être surpris qu’Haïti soit à la tête d’une subdivision africaine, et on ne peut manquer de reconnaître le but de son indépendance. Nous nous proposons de montrer que la République d’Haïti possède en elle-même des ressources de tous genres de nature à la placer au niveau de toute autre nation quant au mérite général ; de donner aussi une idée du pouvoir intellectuel et moral du peuple haïtien, et de prouver que sans l’indépendance, quels qu’aient été ou quels que soient les défauts de son Gouvernement et de son administration générale, Haïti n’aurait jamais atteint sa position actuelle.

Les grandes imperfections d’Haïti sont connues de tout le, monde. Quoique la partie intelligente du peuple haïtien est toujours prête à les admettre, elle demande avec raison que l’on considère les circonstances exceptionnelles de son origine comme nation, non pour justifier une seule de ses erreurs, mais simplement comme explication, vu que les Haïtiens comme peuple commencent seulement à comprendre les vrais principes d’un Gouvernement libre — principes que leurs sages prédécesseurs français ne leur ont jamais appris. Nous nous proposons aussi de montrer à tous ceux qui veulent examiner avec justice le caractère national d’Haïti, que les nations comme les individus reçoivent invariablement l’empreinte des circonstances dans lesquelles elles naissent. Si leur position a été malheureuse, les effets ne peuvent disparaître qu’après de longues 'années de culture saine et générale. Ne perdant pas de vue ce fait, il sera facile de comprendre les particularités et les traits caractéristiques du peuple en question. Haïti doit, après tout, être jugée d’après les profondeurs de l’erreur et de l’injustice desquelles, comme nation, elle tire son existence. Elle n’a pas eu son origine dans des Institutions libres, et c’était pourtant son but, elle s’y est même élancée ; mais pour arriver à l’accomplissement de ses désirs, il lui a fallu se frayer une voie à travers [4] toutes sortes de difficultés. L’ardent désir de la liberté existait en elle, mais une fois saisie il restait à savoir comment s’en servir.

Nous ne concluons pourtant pas que les nations et les individus ne créent jamais leur position ou qu’ils ne sont pas responsables pour leur manque de réforme, lorsque le progrès et l’amélioration ont été à leur portée. Nous n’avons pas non plus l’intention de justifier la condition actuelle des masses de la République d’Haïti, car sans question, sous ce rapport, son péché est à sa porte.

L’histoire de cette République n’est pas encore écrite, et lorsqu’elle le sera, on verra que la ferveur la plus ardente pour la liberté, dans l’absence du pouvoir moral qui ne se trouve que dans le christianisme, ne fait que placer une nation dans la voie du danger. Les événements peu détaillés de cette histoire ont été dépeints par plusieurs auteurs haïtiens, justement célèbres, surtout par T. Madiou, fils, et B. Ardouin ; mais on n’a pas encore fait ressortir toutes les clartés et toutes les ombres de cette phase de l’humanité. Ce travail est sans doute réservé à une plume haïtienne, qui écrira, non seulement en faveur de la grande famille africaine, mais de l’homme en général, ouvrage d’autant plus désirable que les ennemis de la race africaine ne sont pas encore tous vaincus.

Les ombres épaisses de l’esclavage suspendues depuis plusieurs années sur l’humanité, desséchant et cachant tant de la valeur réelle dans l’homme et surtout quant au vrai caractère de l’Africain, disparaissent avec rapidité. La clarté réelle de la simple vérité se découvre, exposera définitivement tous les faux raisonnements, et démontrera que quelle que soit la couleur de sa peau, l’homme est homme. Des nuages nous couvrent cependant, et nous couvriront peut-être longtemps, néanmoins le soleil glorieux de la vérité se lève et s’approche de son zénith.

[5]

Le pouvoir formateur de l’indépendance sur les nations et sur les individus est un fait si clairement établi qu’il n’exige aucun raisonnement Tous ceux qui ont attentivement remarqué la puissance des Institutions libres et nationales et l’influence qu’elles exercent sur les masses ainsi que sur l’individu, comprendront la différence qui existe entre l’homme noir indépendant, demeurant, dans un sens national, dans sa propre maison, sous un gouvernement qu’il a lui-même formé, et de celui qui, avec des avantages plus nombreux est placé sous l’influence d’un élément étranger.

Nous ne prétendons pas qu’on ne reçoit aucun avantage du contact avec un élément supérieur, mais nous affirmons qu’il y a dans une Indépendance pure et bien dirigée un pouvoir qui ennoblit ; et que le contact général dans ce sens se réalise pleinement quand l’âme de l’indépendance s’y trouve. Aussi la virilité du Haïtien est sans aucun doute le résultat de ses propres Institutions nationales, de son Indépendance et de son Education. Nous ne parlons pas maintenant des masses ignorantes, quoiqu’elles ne manquent pas de manifester un certain sentiment d’indépendance ; les Haïtiens ont encore à apprendre que sans la diffusion universelle de solides principes moraux, leur Indépendance sera sans vraie dignité.

Nous avons montré que l’homme noir est capable de recevoir de grands bienfaits de l’indépendance. Il se peut pourtant qu’on trouve des particularités dans son cas ayant rapport à l’époque actuelle, qui pourraient montrer, d’abord, que ce grand principe lui est tout spécialement applicable ; et ferait ressortir ensuite d’une manière encore plus claire et plus frappante les desseins de l’Etre Suprême à l’égard de son Indépendance.

Comme résultat de l’indépendance, le commerce d’Haïti est comparativement grand ; les revenus publics sont créés, ainsi que dans tous les pays civilisés, par [6] le système légal de Brevets, de Douanes, de Licences, etc. Depuis longtemps Haïti fait un grand commerce avec les États-Unis de l’Amérique. Ce commerce rapporte plus de trois millions de dollars par an, — nous ne parlons que de la partie française de l’Ile. On a aussi commencé à faire du commerce avec l’Angleterre, la France, et l’Allemagne. Cette correspondance étendue et ce rapport constant avec les nations étrangères exercera une influence puissante sur la civilisation et sur les intérêts du pays. C’est ce qu’on a déjà vu ; l’éducation religieuse et biblique a pendant le dernier quart de siècle répandu la semence de la vérité, et plusieurs milliers d’Haïtiens, quoique non régénérés par le Saint-Esprit, ont cependant ouvert les yeux au fait que la vraie religion est Dieu en l’homme et cela seul. Aussi peut-on s’attendre à des résultats plus glorieux encore.

Que l’homme intelligent pèse ces faits et il sera forcé d’admettre que l’indépendance nationale est le seul chemin qui mène à la gloire. On n’a jamais disputé cette vérité par rapport à l’homme blanc, et on n’a jamais eu de justes raisons d’en douter par rapport à la République noire d’Haïti, malgré toutes ses erreurs et le fait Quand on conçut l’idée de former une Indépendance africaine dans la grande population des États-Unis, on regarda ce projet avec soupçon et avec horreur même. On craignait que la grande cause de la justice devant la loi ne souffrît par l’affaiblissement des rangs de ceux qui seraient ainsi exposés au résultat de luttes sévères pour des droits suprêmement chers. Le bras du Tout-Puissant a été révélé, la vérité a triomphé sur l’erreur, et sous les circonstances actuelles une Indépendance ne serait tout simplement qu’une puissance de plus sur la terre qui aiderait à développer et à combler les ressources infinies de l’humanité. Elle montrerait aussi que les fils de l’Afrique ne sont pas renvoyés à leur premier état d’esclavage [7] par l'indépendance, comme le prouve Haïti, et La Libérie, pays où la richesse et l’instruction ont au moins commencé leur travail d’élévation, et qui, sans aucun doute, par l’aide d’une éducation générale, par l’aide de la vraie religion et des rapports commerciaux, seront élevés au niveau des nations le plus civilisées et les plus prospères de l’époque.

Les grands principes de la Liberté et de l’indépendance, 4 bien compris, forment en vérité la gloire de notre époque. Il serait absurde, en parlant ou en pensant à la liberté, de dire qu’elle a été un insuccès ; pendant que du despotisme et de l’esclavage on peut affirmer sans crainte qu’ils ont misérablement échoué. Les hommes commencent à voir ce qu’ils ont longtemps refusé d’apprendre, c’est que la liberté universelle est l’opulence universelle.

Le fait que nous avons déjà admis, savoir qu’Haïti aurait pu et aurait du mieux faire, ne diminue ni sa gloire ni sa dignité. Si de son point de départ Haïti s’est élevée — personne n’ose contester ce point — elle a prouvé qu’elle possède les éléments du progrès véritable et qu’elle sait en profiter. Le fait que la Jurisprudence, les Mathématiques, la Littérature, le Commerce, etc. ont formé autant de champs où l’intelligence a fait preuve de forces qui font honneur à cette branche de la famille humaine, ne doit pas être perdu de vue. L’Indépendance ayant aussi placé la nation en rapport officiel avec les principaux gouvernements de l’époque ; a produit des documents politiques qui ne sont certainement pas inférieurs à ceux d’autres nations ; c’est ce qui sera prouvé dans les Notes Historiques.’ Le barreau haïtien et la faculté de médecine prouvent qu’il se trouve des Haïtiens qui font honneur à leur profession.

De plus, la richesse déjà accumulée, tant en intelligente qu’en or, prouve abondamment que l’indépendance en Haïti n’a pas été, et ne sera jamais, un insuccès. Il [8] est vrai que des cas nombreux abondent, et semblent menacer tout ce qu’il y a de bon dans le pays ; preuve que la corruption entière de la race humaine est aussi évidente dans les États libres que dans ceux où règne le despotisme. Ce fait nous force à insister sur la nécessité de la culture morale de chaque individu, riche ou pauvre, instruit ou ignorant.

Qu’on ne suppose pas que l’indépendance que nous essayons de soutenir par rapport à ‘l'homme noir’ soit dans aucun sens exclusive ; c’est plutôt celle qui appartient à l’homme comme être social, ce qui forme la gloire de l’Angleterre, de la France, et de l’Amérique ; une indépendance qui, tout en offrant un abri à tous les hommes, retient en même temps une parfaite identité nationale, exerce une influence bénigne sur chaque enfant de la nation, grave son caractère sur chaque famille, et se manifeste dans la démarche du paysan ainsi que chez les habitants des villes.

Haïti et la Libérie ont été très exclusives dans leur Indépendance ; mais on ne doit pas les blâmer outre mesure, vu que ces deux pays n’ont fait que répéter l’histoire de toutes les nations, et que leur exclusivisme a été plutôt causée par la nécessité que l’effet de leur propre choix. Cette nécessité n’existe plus, et il est à espérer que ces deux pays ne se couvriront pas de l’opprobre et du sarcasme du monde entier en maintenant cet exclusivisme. L’exclusivisme ne peut pas appartenir à l’homme comme membre d’une famille, aussi tous les murs qui séparent l’homme de son frère doivent-ils nécessairement s’écrouler ; les rapports les plus continuels ne sont pas incompatibles avec l’indépendance et l’identité nationale la plus complète.

Il se peut que parmi les Noirs et les Blancs un certain nombre croient que l’objet de cet ouvrage, en favorisant une séparation entre deux des branches principales de la race humaine, avilit plutôt que d’ennoblir la dignité [9] de l’homme noir. L’auteur a pourtant en vue juste le contraire. Ne serait-il pas difficile de prouver que l’indépendance est ou peut être dans aucun sens avilissante ou dégradante ? Assurément il n’est pas un seul homme qui ose entretenir une telle idée. Il est certain que l’indépendance haïtienne ne veut pas dire, et ne suppose même pas, la séparation dans le sens de l’isolement. Ses capitalistes ne sont-ils pas pour la plupart des étrangers ? Cependant on les considère comme les plus fermes appuis de l’indépendance nationale.

Si nous étudions l’origine et la cause des divisions qui ont eu lieu parmi les hommes dans les siècles précédents, nous verrons que dans presque tous les cas la cause est la même. La dispute entre les bergers de Lot et d’Abraham vient éclaircir cette question. Des circonstances, que les hommes appellent accidentelles, ont crée des divisions utiles et salutaires dans tout le monde, et nous avons probablement raison lorsque nous disons que l’une des grandes lois de la Providence est, que les intérêts du monde doivent être développés et mis en mouvement sur le principe de l’indépendance nationale. Dans ce sens, les divisions de l’humanité n’ont jamais entraîné avec elles l’idée de la dégradation ou de l’avilissement ; elles ont plutôt largement contribué à faire ressortir les richesses et les ressources générales de la nature.

On pourrait demander avec raison, si l’homme n’a pas le droit de rester dans son pays natal ? À cette question on ne peut que répondre, Oui ! Mais s’il n’était pas permis à chaque individu de changer de demeure ou de position, afin de l’améliorer si possible, soit par l’émigration ou par d’autres moyens, ce serait un grand malheur pour le monde. Sur ce principe, la Grande Bretagne aurait été depuis longtemps trop petite pour contenir sa population toujours croissante ; pour la même raison plusieurs autres pays seraient devenus [10] insupportables. Le droit incontestable de rester chez soi est faible comparé au droit de profiter des avantages offerts par le monde entier. Cette question ne réclame aucune autre étude. À vrai dire elle n’appartient pas au sujet que nous traitons. Le droit que possèdent les hommes et les communautés de rechercher ce qui leur est avantageux ainsi qu’à leurs enfants est universellement admis. Bienheureux ceux qui savent apprécier la vraie liberté pour eux-mêmes et pour leur postérité ! Telle est la vraie Indépendance qui convient à chaque homme sur la terre.

Basés sur ce ferme principe d’indépendance, les immortels fondateurs de ces colonies qui formèrent plus tard la grande République de l’Amérique du Nord s’arrachèrent avec leurs familles du sein de leur pays natal. Malgré le droit qu’ils avaient de rester dans la terre de leur naissance, et pour des motifs qui leur paraissaient justes, ils préférèrent les déserts du Nouveau-Monde à ce qu’ils appelaient le despotisme de leur propre pays, despotisme qui détruisait le bonheur du foyer domestique. Aussi s’élancèrent-ils à la poursuite des découvertes ; ils errèrent dans les caves et dans les antres de leur pays nouvellement découvert afin d’éviter la fureur des hommes incultes. Ce triste échange leur offrait toute la douceur qu’on éprouve en étant opprimé pour la cause de la liberté. Ce sentiment anima tellement leurs cœurs que les louanges qu’ils adressèrent à Jéhovah interrompirent le silence des forêts. Ils n’oubliaient pas cependant les douceurs de leur pays natal. On ne doit donc pas s’étonner qu’un profond sentiment de vraie Indépendance a caractérisé une nation qui peut maintenant être rangée parmi les plus grandes du siècle.

Le principe que nous soutenons devra continuer à attirer l’attention de l’humanité. Il y a, et il y aura, plusieurs manières de l’envisager dans son application [11] actuelle à l’homme noir des États-Unis ; mais le fait que l’indépendance nationale est le plus haut point d’élévation auquel l’homme noir ou aucune autre branche de la famille humaine peut atteindre, est un fait qu’on ne peut disputer.

Les descendants des « Pilgrim Fathers » n’ont jamais pensé que leurs grands progéniteurs ignoraient dans aucun sens ou la cause de la liberté ou leurs amis en quittant ainsi leur propre pays et en abandonnant la grande lutte pour la liberté dans laquelle ils avaient longtemps combattu, ou qu’ils rabaissaient leur dignité en quittant leur pays natal pour arriver au but qu’ils voulaient atteindre. Au contraire, en les voyant partir pour une telle entreprise, renonçant même 'à leur droit d’aînesse, leurs pères les encourageaient, se sentant récompensés par l’espoir d’établir les justes principes de la liberté religieuse sur ces rivages lointains. Les résultats de si nobles efforts ont été des plus beaux. Ils ont démontré la solidité de leurs principes, et ont détruit tout doute quant à leur développement dans les temps modernes, par la simple force de préférence et de principe, quelle que fût la raison qui les crut suffisantes.

Nous ne voulons pas insinuer que le pouvoir régnant ni même le peuple des États-Unis encouragent dans aucun sens l’oppression de l’homme noir. Rien ne peut être plus évident, qu’au moment actuel, la Grande République de l’Amérique envisage la question africaine avec justice et avec honnêteté. On ne peut croire non plus que les flots de sang qui ont coulé comme rançon auront coulé en vain. Mais le fait est devant le monde, que l’esclavage et la captivité dégradante des siècles passés, si fertiles en toutes sortes de maux et si ruineuse à tous les rangs et à toutes les conditions de l’humanité, donnant à la liberté même un air maladif, et pervertissant les plus grands esprits, ont laissé derrière elles [12] des idées fausses et des effets funestes desquels l’indépendance seule viendra les garantir. C’était les vues du noble Lincoln, ainsi que celles de Toussaint l’Ouverture, et si toute l’Afrique pouvait parler sur ce sujet elle ne rendrait pas un son confus. On ne sera pas surpris que l’idée d’une Indépendance parmi les noirs, ressortant d’un grand nombre des fils de l’Afrique dans les États-Unis, se soit développée, dans un élément haïtien ou qu’elle paraisse ici quoique simplement sous la forme d’une question.

Surprenant comme le fait peut paraître, la lutte politique en Haïti a quelquefois roulé sur la question de la différence de couleur entre les noirs et les mulâtres, pour l’accomplissement de projets vils. Néanmoins celui qui oserait présumer sur les avantages de sa nuance claire et qui essaierait d’en profiter commettrait, dans le pays de Toussaint, une grande erreur, et se trouverait bientôt dans la nécessité de cacher sa vanité creuse en présence d’un noir de beaucoup son supérieur. Haïti a déjà senti qu’une éducation complète est un pouvoir qui fera disparaître la haine de la couleur. Dans tous les temps l’homme a été coupable de grandes absurdités. Le célèbre historien anglais Macaulay nous apprend que pendant un temps non éloigné du nôtre, l’Irlandais était traité avec mépris par son frère anglais, fier et hautain. Tel a été le chemin parcouru dans tous les âges ; des riens ont fait couler des flots de sang, et la paix n’a été souvent obtenue que par un simple épuisement de forces.

Il sera facile de comprendre que des milliers d’hommes devenus libres, sous des circonstances semblables, profiteraient avec joie d’une porte de délivrance pour se mettre à l’abri d’éléments qui sont en lutte avec Dieu lui-même et qui ne peuvent que produire l’angoisse la plus extrême. On dira peut-être, laissez les faire ! Mais-il y a plusieurs moyens d’arriver à ce but, et il [13] n’y a que le pouvoir efficace d’une indépendance chrétienne et bien dirigée qui puisse parfaitement réussir. Nous nous rappelons pourtant que la question sociale n’est pas résolue comme matière de droit. Il faut que l’homme noir commande intellectuellement et moralement. Son esprit cultivé doit être le principe moteur. C’est ainsi qu’il doit prouver que tous les hommes sont égaux. Cette grande vérité justifierait la libre entrée à une Indépendance bien comprise, pour tous ceux qui désireraient, par quelque considération que ce soit, changer de demeure ou de manière de vivre, et où l’homme noir pourrait s’élever au niveau d’une indépendante liberté.

Quelle qu’ait été leur histoire passée, Haïti et la Libérie sont maintenant des nations libres et indépendantes, et font des progrès dans les intérêts et dans la prospérité de l’époque. Elles donnent des preuves de la solidité du grand principe que nous allons essayer d’éclaircir et qui constitue la gloire de leur existence nationale.

L’homme noir, ou tout autre homme, qui désirerait une plus grande liberté que celle dont il jouit ne ferait qu’imiter des milliers qui l’ont précédé dans tous les âges. Comme ses prédécesseurs il se retire où il veut et pour des motifs qu’il croit justes. Il ne demande pas s’il a le droit de rester ici ou d’aller là ; comme chrétien il suit ses instincts moraux, et marche dans la voie qu’il juge être celle de la Providence. Que des milliers émigrent ainsi ! On n’aura rien à craindre quant à la plus complète liberté d’action pendant que l’honneur de l’homme, de toutes les nuances » est son seul motif et son unique but.

Les opinions que nous venons d’exprimer sont basées sur un point de vue spécial, qui est Haïti. Le raisonnement que nous avons suivi, les sentiments que nous avons exprimés dans ce volume sont décidément ceux de la [14] partie intelligente et éclairée du peuple haïtien. Quels que soient les défauts nationaux de ce peuple, les classes intelligentes de ce pays sont assez nombreuses et assez puissantes pour établir et pour démontrer pleinement la grande question qui nous occupe savoir que l’indépendance est sa vraie dignité.

On doit vivement regretter qu’il ait existé une classe de personnes en Haïti dénuée d’éducation. Ce grand mal est maintenant reconnu, et on sait aussi quel remède il faut appliquer. Que les églises chrétiennes qui ont des oreilles pour ouïr, entendent.

Quant à la grande mission d’Haïti, telle qu’elle lui a été confiée par Dieu dans un sens chrétien et national, savoir de prouver que l’homme, de toutes nuances est vraiment homme, plusieurs personnes honorables ont paru douter du succès réalisé sous ce rapport. Il reste à voir si ces doutes sont bien fondés, ou si dans tous les cas ceux qui ont eu ces doutes connaissent Haïti assez bien pour arriver à ces conclusions. Dans un tel cas, beaucoup dépendrait des résultats qu’on attend. Si les hommes dont nous parlons se sont attendus à voir en Haïti, une République modèle, dans laquelle, tous les détails d’institutions et de gouvernements libres sont complètement développés, ils ont eu raison de douter du succès final. Mais a-t-on raison de s’attendre à trouver de tels résultats ? Peut-on, avec justice, fermer les yeux sur la grande différence qui existe entre une nation à l’état d’enfance et une nation qui a atteint sa majorité ? Qu’on perde de vue ces considérations, et certainement on aura raison d’être désappointé. Qu’on permette donc à la loi de la nature de se développer, et toute difficulté cessera. Car cette loi nous enseigne qu’on ne moissonne que ce qu’on a semé, ce qui est facile à comprendre. Comment s’attendre donc à moissonner ce qui n’a jamais été semé ?...

[15]

La question qu’il faut donc examiner est celle-ci : Qu’a-t-on semé en Haïti dans un sens moral, politique, et religieux ? Cette question exige de notre part une attention juste et sérieuse, car si les semences mauvaises de faux principes, dans tous les sens, ont été répandues à pleine main sur le sol, toute hésitation future Sur la question du succès devra cesser.

La mission confiée à la nation haïtienne était néanmoins celle de développer et d’établir le caractère de l’homme noir. Il se peut que ce travail n’a pas été accompli comme plusieurs s’y attendaient ; mais il est certain que la grande loi de Dieu et celle de la nature ont été mises en opération et accomplies. Des descendants de la race anglaise auraient peut-être tout placé sur un pied différent. Il serait pourtant facile de prouver que le pays de Toussaint n’a pas été la moindre d’entre les républiques du Nouveau-Monde, qui se sont ressemblées plus ou moins dans leur origine.

Haïti a déjà révélé la fausseté des idées reçues quant à l’Africain, idées qui sont encore soutenues par un voyageur distingué de nos jours, et qui a immortalisé son nom par ses découvertes en Afrique, mais dont les idées quant à l’Africain n’harmonisent certainement pas avec celles de l’illustre Livingstone. Ceux qui ont longtemps habité Haïti ne peuvent s’empêcher de sourire lorsqu’ils entendent que le Nègre, arrivé à un certain âge, manifeste une grande faiblesse mentale. Il serait curieux d’examiner le fond de ce raisonnement — comment et pourquoi cette vitalité est-elle perdue ? et de voir si ces idées sont en harmonie avec vingt-cinq années d’expérience dans le travail d’éducation en Haïti. Ceux qui ont osé rencontrer des sauvages noirs, et qui ont quelquefois craint de devenir les victimes de leur furie, ne sont pas toujours les meilleurs juges des pouvoirs intellectuels de cette branche de la famille humaine.

[16]

[…/…]

éducation en France ou dans leur propre pays savent très-bien l’apprécier. Ceux qui pensent autrement pourraient changer d’opinion, s’ils voulaient seulement visiter ce pays où, quant à leurs pouvoirs intellectuels, ils trouveraient des hommes noirs âgés de soixante ans, encore jeunes et virils.

Un raisonnement comme celui que nous venons de réfuter n’est qu’un complet abandon de la vérité ; quant au voyageur dont nous avons parlé, il prouve qu’il est possible, pour de certains hommes célèbres, de voyager parmi les sauvages de l’Afrique jusqu’à ce qu’ils arrivent à la conclusion que dans leur origine ils sont les devanciers d’Adam ; ou bien de supposer, en impies, que ces nègres sont le résultat d’un essai de la part du Créateur qui avait l’intention de produire un homme d’un ordre inférieur. Veut-on réellement soutenir un tel argument ? Ne serait-ce pas plutôt le vain effort d’une imagination irrévérente ? Il n’est pourtant pas rare que les raisonnements d’hommes capables conduisent à de fausses conclusions.

Un raisonnement comme celui que nous venons de réfuter n’est qu’un complet abandon de la vérité ; quant au voyageur dont nous avons parlé, il prouve qu’il est possible, pour de certains hommes célèbres, de voyager parmi les sauvages de l’Afrique jusqu’à ce qu’ils arrivent à la conclusion que dans leur origine ils sont les devanciers d’Adam ; ou bien de supposer, en impies, que ces nègres sont le résultat d’un essai de la part du Créateur qui avait l’intention de produire un homme d’un ordre inférieur. Veut-on réellement soutenir un tel argument ? Ne serait-ce pas plutôt le vain effort d’une imagination irrévérente ? Il n’est pourtant pas rare que les raisonnements d’hommes capables conduisent à de fausses conclusions.

Les conclusions auxquelles le voyageur en question est arrivé, quant à l’incapacité de l’Africain, étaient sans aucun doute celles de Jules-César par rapport aux anciens Bretons, lorsque pour la première fois il aborda leurs rivages. On peut avec confiance laisser à l’avenir le soin de prouver la vérité ou l’injustice de la décision finale à laquelle sont arrivés les hommes dont nous avons parlé, savoir que toutes tentatives pour élever la branche noire de la race humaine, par le moyen de missions chrétiennes ou autrement, sont vaines. En Haïti et ailleurs les faits sont de nature à ne laisser aucun doute quant à ceux qui, sur cette question, sont les vrais visionnaires.

Il serait très malheureux pour l’humanité civilisée d’être abandonnée à la merci de ceux qui sont tout-à-fait indécis, si les hommes sous de certaines circonstances

[…/…]


* Le royaume de la liberté est mon seul chez moi ?


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 7 février 2019 17:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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