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Collection « Les auteur(e)s classiques »

ROYAUME DE L’ESPRIT et Royaume de César. (1951)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Nicolas Berdiaeff (Berdiaev) [1874-1948], ROYAUME DE L’ESPRIT et Royaume de César. Traduit du Russe par Philippe Sabant. Neuchâtel, Suisse; Paris: Delachaux & Niestlé, 1951, 173 pp. Collection: “Civilisation et christianisme”. Une édition numérique réalisée par un bénévole qui souhaite conserver l'anonymat sous le pseudonyme “Antisthène”, un ingénieur à la retraite de Villeneuve sur Cher, en France.

[7]

ROYAUME DE L’ESPRIT
et Royaume de César.

Introduction gnoséologique

La lutte pour la vérité

Nous vivons à une époque où l’on n’aime pas la vérité et on ne la cherche pas. La vérité est de plus en plus souvent remplacée par l’intérêt et l’utilité, par la volonté de puissance. La désaffection envers la vérité s’exprime non seulement dans une attitude nihiliste ou sceptique à son égard, mais aussi dans la substitution à la vérité de l’une ou l’autre croyance, de l’un ou l’autre enseignement dogmatique, au nom desquels on admet le mensonge et on le considère non comme un mal, mais comme un bien. Déjà dans le passé, l’indifférence à l’égard de la vérité s’exprimait dans une foi dogmatique, qui n’admettait pas la libre recherche de la vérité. La science s’est développée au sein du monde européen en tant que libre recherche et quête de la vérité, indépendamment de l’utilité de cette dernière et du profit que l’on pouvait en tirer. Mais, par la suite, la science elle-même a commencé à se transformer en une arme à l’usage de systèmes dogmatiques antireligieux, tels que le marxisme, ou bien en instrument de la puissance technique. Toutefois, si notre époque se distingue par la place extraordinaire qu’y tient le mensonge, ce mensonge est d’une espèce particulière. Le mensonge est considéré [8] comme un devoir sacré, au nom de fins supérieures. Le mal est justifié au nom du bien. Il n’y a là cependant rien de nouveau. L’histoire a toujours aimé justifier le mal au nom de ses fins supérieures (ruse de l’intelligence chez Hegel). Mais à notre époque la chose a pris des proportions énormes.

Du point de vue philosophique, ce qui apparaît comme assez nouveau, c’est l’ébranlement de l’idée même de la vérité. Il est vrai que dans cette voie de la négation de la vérité nous avons été précédés par les sophistes de l’Antiquité. Mais la pensée grecque à ses sommets : Platon, Aristote, Plotin, en eut bien vite raison. Les idées sur la vérité que l’on trouvait chez les empiristes et les positivistes étaient vagues et contradictoires ; mais au fond, ces écoles en reconnaissaient l’incontestable existence tout autant que les courants philosophiques opposés, pour lesquels la vérité apparaissait comme absolue. Le doute quant à la vieille conception de la vérité apparut avec la philosophie pragmatiste ; mais ce doute n’avait rien de radical et ne présentait qu’une importance passagère. Bien plus profonde est la signification de l’ébranlement de la vérité chez Marx et Nietzsche, bien que cet ébranlement se soit produit chez eux dans deux directions différentes. Marx proclame le relativisme historique de la vérité en tant qu’instrument de la lutte des classes, sur la base d’une dialectique empruntée à Hegel. Le mensonge dialectique, largement utilisé par les marxistes dans la pratique, est justifié par le matérialisme dialectique. Et, en opposition profonde avec ses fondements philosophiques, ce dernier est reconnu comme la vérité absolue enfin découverte. L’attitude des marxistes vis-à-vis de cette vérité est caractérisée par un dogmatisme qui rappelle l’attitude de l’Eglise catholique vis-à-vis de sa vérité dogmatique à elle. Mais la philosophie marxiste, qui est une philosophie de la praxis, considère la vérité comme une arme de lutte du prolétariat révolutionnaire, la vérité de ce prolétariat étant [9] différente de celle des classes bourgeoises, même lorsqu’il s’agit de sciences de la nature.

Nietzsche, lui, a conçu la vérité comme l’expression de la lutte pour la volonté de puissance, comme une valeur créée ; la vérité est soumise pour lui à la création de la race des surhommes. Au fond, la philosophie irrationnelle de la vie ne s’intéresse pas à la vérité. Cependant, cette philosophie contient une part de vérité, du fait que pour elle la connaissance est fonction de la vie. La philosophie existentielle, plus intéressante et pleine de promesses pour l’avenir, tend à affirmer non plus la vieille conception objectivée de la vérité, mais une conception subjective-existentielle. Néanmoins ceci ne signifie pas la négation de la vérité. Pour Kierkegaard, dans le subjectif et l’individuel se révèle une vérité absolue. Les courants les plus récents de la philosophie existentialiste sont, en ce qui concerne la vérité, très contradictoires. Heidegger, que l’on doit certes considérer comme un philosophe existentialiste, tend dans son essai sur le problème de la vérité à une conception ontologique et objective de celle-ci. Mais cette conception classique est exprimée à l’aide d’une terminologie nouvelle et présente un caractère plus subtil et original. Néanmoins on ne comprend pas en fin de compte pourquoi l’homme (Dasein) est capable chez Heidegger de connaître la vérité. Le fait d’asseoir la vérité sur la liberté contredit la conception ontologique de la vérité, selon laquelle le centre de gravité réside dans l’essence qui se révèle. Contrairement aux autres existentialistes, Heidegger est attaché à l’ancienne conception de la vérité, exprimée d’une manière nouvelle. Dans les larges cercles philosophiques naïfs triomphent le relativisme et l’historisme, dans lesquels, il y a une part d’idées justes par rapport à la vieille conception statique de la vérité ; mais aussi une part — la plus grande — de mensonge fondamental. L’historisme est incapable de comprendre le sens de l’histoire parce qu’il nie le sens en [10] général. Dans la politique, qui joue à notre époque un rôle dominant, on ne parle pas de vérité et de mensonge, de bien et de mal, mais d’appartenance à la « droite » ou à la « gauche », d’orientation « réactionnaire » ou « révolutionnaire », bien que les critères de ce genre commencent à perdre toute signification.

Le chaos dans lequel se trouve plongé à l’heure actuelle le monde et avec lui la pensée, devrait nous amener à reconnaître le lien indissoluble entre la vérité et l’existence du Logos, du Sens. La dialectique perd tout sens s’il n’y a pas de Sens, de Logos, qui doit triompher dans le processus dialectique. C’est pourquoi le matérialisme dialectique est une contradiction dans les termes. Le développement historique, qui engendre le relativisme, est impossible s’il n’y a pas de Logos, de Sens du processus historique. Ce sens ne peut pas résider dans le processus même de développement. Nous verrons que la vieille conception de la vérité, statique et objectivée, est fausse, et qu’elle a suscité une réaction allant jusqu’à la négation de la vérité. Mais, même avec une conception subjective-existentielle et dynamique de la vérité, celle-ci demeure éternelle, acquérant un sens nouveau. En fin de compte, au plus profond des choses, il s’avère que la Vérité, la vérité intégrale, c’est Dieu, que la vérité n’est pas la corrélation ou l’identité du sujet connaissant, portant un jugement, avec la réalité objective, avec l’être objectif, mais bien la pénétration dans la vie divine, qui se trouve au delà du sujet et de l’objet. On définit généralement la connaissance scientifique comme la connaissance de l’un ou de l’autre objet. Mais cette définition n’atteint pas le fond des choses ; elle est adaptée aux conditions de notre monde objectivé. Au fond des choses, la connaissance scientifique la plus précise, la plus positive, du monde naturel, contient un reflet du Logos.

Le vieux point de vue traditionnel admet un critère objectif [11] de la vérité. La vérité est pour ainsi dire identifiée à l’objectivité. Cet objectivisme dans la conception de la vérité et de la connaissance authentique est loin d’être propre uniquement au réalisme dit naïf, rejeté par la plupart des écoles philosophiques. La conception de la connaissance comme une corrélation avec la vérité « objective » qui se révèle est prédominante. La critique de Kant rompt avec l’objectivisme de ce genre et voit la vérité dans la corrélation de la raison avec elle-même. Cette vérité est déterminée par le rapport avec les lois de la raison et par la coordination des pensées. Néanmoins, Kant reste attaché à l’objectivisme, à l’universalité, liée à la conscience transcendantale. Les notions de subjectif et d’objectif demeurent chez Kant contradictoires et insuffisamment explicitées. Le néo-kantisme de l’école de Windelband, Rickert et Lask considère la vérité comme une valeur, mais en donne une interprétation fausse, dans l’esprit d’un stérile normativisme. Husserl se meut dans le sens d’un idéalisme objectif de la conscience, d’une espèce de platonisme détaché des mythes platoniciens. Seule rompt avec le pouvoir de l’objectivisme, que ce soit sous une forme réaliste ou une forme idéaliste, la philosophie existentielle, bien que celle-ci prenne des directions divergentes et risque de tomber dans un objectivisme de forme nouvelle, comme c’est par exemple le cas chez Heidegger, en dépit de son affranchissement de la terminologie ancienne. Ce n’est que chez Kierkegaard que l’on trouve la vérité dans la subjectivité et l’individualité, mais sans qu’il donne à sa conception un fondement philosophique.

Il faut avant tout souligner que la vérité n’est pas la corrélation chez le connaissant avec une réalité objective donnée. Personne n’a jamais expliqué comment la réalité de l’être peut se transformer en idéalité de la connaissance. Lorsque je dis que devant moi se trouve une table, cela représente une certaine vérité particulière ; mais il n’y a pas [12] corrélation entre cette table et mon affirmation que c’est une table. Cette modeste connaissance de la table possède une importance avant tout pragmatique. Il y a des degrés de connaissance de la vérité, dépendant des degrés de communion mutuelle des hommes et de leur communion avec le tout universel. Mais la vérité n’est pas non plus la corrélation de la raison avec elle-même et avec ses lois universelles. La Vérité, à laquelle doivent être ramenées toutes les vérités particulières, n’est pas du ressort de la raison abstraite, mais du ressort de l’esprit. Or, l’esprit se trouve au delà de l’opposition rationalisée du sujet et de l’objet. La Vérité n’est pas le fait de demeurer dans le domaine de la pensée fermée, dans le cercle sans issue de la conscience ; elle est l’ouverture et l’épanouissement. La Vérité n’est pas objective, mais trans-subjective. Le sommet de la connaissance n’est pas l’issue par l’objectivation, mais l’issue par le transcendement. La conscience moyenne normale est adaptée à l’état du monde objectivé. Et la valeur universelle logique de la connaissance présente un caractère sociologique. J’ai déjà écrit plus d’une fois que la connaissance dépend de la communion spirituelle des hommes. Pour la communion spirituelle de degré élevé se révèle une vérité qui est le transcendement du monde objectif, ou plutôt objectivé. Ce que l’on appelle « être » n’est pas la profondeur dernière. L’être est déjà un produit de la pensée rationnelle ; il dépend de l’état de la conscience et de l’état du monde. Plus profonde que l’être est l’existence spirituelle ou la vie spirituelle, à laquelle appartient le primat sur l’être. La Vérité intégrale est non pas le reflet de la réalité du monde ou la corrélation avec cette réalité, mais le triomphe du sens du monde. Et le sens n’est pas le triomphe de la logique, adaptée au monde déchu et compressée par des lois logiques, à commencer par le principe de l’identité. Le Logos divin triomphe du non-sens du monde des objets. La Vérité est le triomphe de l’Esprit. La Vérité intégrale c’est [13] Dieu. Et les rayons de cette vérité intégrale, vérité divine, vérité du Logos, tombent également sur la connaissance fragmentaire d’ordre scientifique, tournée vers la réalité universelle donnée, objective. La découverte de la Vérité est un acte créateur de l’esprit, un acte créateur de l’homme, un acte créateur surmontant l’asservissement au monde des objets. La connaissance est active et non passive. La phénoménologie exige au fond la passivité du connaissant, voyant dans l’activité un psychologisme. C’est pourquoi il faut considérer la phénoménologie de Husserl comme défavorable à la philosophie existentielle. La reconnaissance du caractère actif et créateur de la connaissance n’implique nullement un idéalisme. Bien au contraire.

La connaissance de la Vérité n’est pas l’élaboration de notions rationnelles, mais avant tout un jugement de valeur. La Vérité est la lumière du Logos, allumée au sein de l’être même — si l’on veut user de la terminologie traditionnelle — ou dans les profondeurs de l’existence, c’est-à-dire de la vie. La Vérité intégrale unique est fractionnée en une multitude de vérités. Une sphère éclairée par les rayons d’une lumière unique (une science déterminée) peut nier la source de lumière, le Logos-Soleil ; mais elle ne pourrait pas recevoir la lumière sans cette source unique. Tous les connaissants, dans les différents domaines de connaissance, reconnaissent la logique et ses lois, considérées comme immuables ; mais ils peuvent nier le Logos, le Verbe-Entendement spirituel intégral. Or, alors que les lois de la logique, le principe d’identité et le principe du tiers exclu, signifient une indispensable adaptation aux conditions de notre monde déchu, l’esprit se meut dans une sphère qui est au delà des lois de la logique ; or, dans l’esprit il y a la lumière du Logos.

J’ai souvent noté le caractère sociologique que présente l’universalité de la logique et la correspondance de cette universalité et force persuasive aux degrés de communion spirituelle. [14] Je ne voudrais pas ici me répéter. Mais voici ce qu’il est particulièrement important d’établir. Ni le matérialisme, ni le phénoménalisme (dans les différents types de positivisme), ni un existentialisme comme celui de Heidegger, ne peuvent expliquer l’apparition même du problème de la vérité. En l’occurrence, Heidegger est particulièrement important. Il est parfaitement incompréhensible comment l’homme (Dasein) peut s’élever au-dessus de la bassesse du monde, sortir du royaume du das Man. Il faut pour cela qu’il y ait dans l’homme un principe supérieur, qui l’élève au-dessus du monde donné. Les existentialistes du type anti-religieux conçoivent l’homme comme tellement vil, le comprennent dans une si grande mesure exclusivement par le bas, que l’apparition même du problème de la connaissance, le fait que puisse s’allumer la lumière de la Vérité, reste incompréhensible. De quelque façon que nous puissions concevoir l’homme, nous nous trouvons devant le fait que l’homme peut aussi bien connaître la lumière de la vérité, que tomber dans une multitude d’erreurs et d’errements. Pourquoi la tragédie de la connaissance est-elle possible ? Pourquoi la lumière du Logos n’éclaire-t-elle pas toujours la voie de la connaissance humaine, alors que l’homme est un être spirituel, qui transcende le monde ?

La connaissance n’est pas seulement un processus intellectuel : dans la connaissance agissent toutes les forces de l’homme, le choix volontaire, l’attraction et la répulsion à l’égard de la vérité. Descartes se rendait compte de ce que les erreurs dépendent de la volonté. Le point de vue pragmatiste, suivant lequel la vérité est ce qui est utile à la vie est entièrement erroné. La vérité peut être nuisible pour l’organisation de la vie quotidienne. La vérité chrétienne pouvait même être très dangereuse : elle pouvait amener l’effondrement de tous les Etats et de toutes les civilisations. Et c’est pour cela que la vérité pure du christianisme fut [15] adaptée à la vie humaine quotidienne et de ce fait altérée, que l’œuvre du Christ fut corrigée, comme le dit le Grand Inquisiteur chez Dostoïevski. Si nous croyons au caractère salvateur de la Vérité, c’est dans un tout autre sens. Il y a, en ce qui concerne la Vérité, une division en « ce qui est à César » et « ce qui est à Dieu », entre l’esprit et le monde. A l’extrémité opposée, dans les sciences exactes, qui se rapportent au monde naturel, nous assistons aujourd’hui à une véritable tragédie du savant. La physique et la chimie du XXe siècle font de grandes découvertes, qui déterminent des succès vertigineux dans le domaine de la technique. Mais ces succès conduisent à l’anéantissement de la vie et mettent en danger l’existence même de la civilisation humaine. Tels sont les travaux se rapportant à la désintégration de l’atome et à l’invention de la bombe atomique. Alors que la science découvre sinon la Vérité, du moins des vérités, le monde se trouve plongé dans des ténèbres de plus en plus épaisses. L’homme se détourne de la Vérité intégrale et les vérités partielles qu’il découvre ne lui sont d’aucun secours. Du fait de la division fallacieuse du monde en deux parties, qui entraîne un usage extraordinaire du mensonge, les découvertes scientifiques et les inventions techniques se trouvent représenter un terrible danger de déclenchement de nouvelles guerres. Les chimistes pouvaient, à titre désintéressé, s’occuper de découvrir la vérité, ne fût-ce que partielle ; mais ce qui a résulté de leurs découvertes, c’est la bombe atomique, qui nous menace d’anéantissement. C’est ce qui se passe dans le royaume de César. Seule peut nous sauver la lumière de la Vérité intégrale, qui se révèle dans le royaume de l’Esprit.

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Si nous rejetons le critère dit objectif de la vérité, tant dans le sens d’un réalisme naïf que dans celui du réalisme [16] rationaliste ou de l’idéalisme transcendantal critique, ce n’est nullement pour affirmer une « subjectivité » arbitraire, un « psychologisme » dans le sens donné à ce mot par Husserl, en opposition avec la réalité profonde. La réalité profonde se révèle dans la subjectivité, une subjectivité demeurant en dehors de l’objectivation. La vérité est subjective et non objective : elle se trouve objectivée en conformité avec le monde de la nécessité, avec le royaume de « César », et adaptée au morcellement et à la multiplicité mauvaise du monde. La « subjectivité » opposée à la vérité et à la réalité profonde, la « subjectivité » fermée, incapable de transcendement, incapable de sortir de soi-même, est précisément la détermination de l’extérieur. L’homme replié sur lui-même est précisément un être privé de liberté, non-déterminé par la profondeur, mais déterminé de l’extérieur par la nécessité universelle, dans laquelle tout est déchiré, pénétré d’hostilité mutuelle, rejeté de la profondeur, c’est-à-dire non-spirituel. Lorsque les existentialistes — Heidegger, Sartre, etc... — parlent de projection de l’homme (Dasein) dans le monde et de sa condamnation à ce monde, ils parlent de l’objectivation, qui rend le destin de l’homme sans espoir, rejeté de la réalité profonde. De cela il est pour ainsi dire impossible de discuter : cela est affaire de choix final libre. Je n’appelle pas existentielle une telle philosophie, car elle se trouve soumise au pouvoir des objets. Cette philosophie diffère de la vieille et classique philosophie ontologique en ce qu’elle se trouve face à face avec l’objectivité d’un monde absurde et dépourvu de sens, tandis que la philosophie ontologique croyait se trouver face à face avec l’objectivité de la raison et du sens de l’être. Il s’agit là d’une crise très sérieuse de la pensée philosophique. Mais l’un et l’autre courant restent soumis au pouvoir du monde des objets.

L’objectivation crée des mondes différents, qui possèdent un degré plus ou moins grand de réalité ou de fiction. Il [17] est faux de croire que l’homme vit dans un monde objectif unique, donné extérieurement. Il vit dans des mondes différents, souvent fictifs, ne correspondant pas — si on les considère séparément — à la complexe et multiple réalité. La part de fiction, de fantasmagorie, est déterminée par le degré de concentration exclusive sur un seul élément, qui élimine tous les autres. L’universalisme dans la façon même d’appréhender le monde est un phénomène très rare. C’est dans des mondes différents que vivent les ministres du culte et les théologiens, les savants et les inventeurs, les hommes politiques, les réformateurs sociaux et les révolutionnaires, les écrivains et les artistes, les hommes d’affaires, les industriels, etc. Ces hommes sont souvent incapables de se comprendre. La façon d’appréhender le monde dépend par ailleurs des croyances des hommes et de leurs convictions idéologiques : elle n’est pas la même chez le catholique et chez le marxiste, chez le libéral et chez le socialiste, chez le matérialiste et chez le spiritualiste, etc. C’est un autre monde également qui est appréhendé en fonction de la classe : le capitaliste se le représente autrement que l’ouvrier ou l’intellectuel. Les hommes vivent bien plus souvent qu’ils ne le pensent dans le domaine des abstractions, des fictions, des mythes. Les mythes remplissent la vie des hommes les plus attachés au rationnel. Le rationalisme lui-même est un de ces mythes. L’abstraction rationnelle se transforme facilement en mythe. Le marxisme, par exemple, est saturé d’abstractions transformées en mythes. La conscience humaine est mobile : elle se rétrécit ou s’élargit, se concentre sur un objet ou se disperse. La conscience moyenne normale est une des abstractions. La raison du rationalisme est un des mythes. Le soi-disant héroïsme et courage qu’il y aurait à rejeter toute foi en un monde supérieur, spirituel, divin, à rejeter toute consolation, est également un des mythes de notre temps, une de ses consolations. L’homme est un être inconsciemment rusé [18] et pas entièrement « normal » ; il trompe facilement les autres et lui-même, surtout lui-même. L’élaboration d’une conception du monde particulière, souvent illusoire, en fonction de l’orientation de la conscience, présente un caractère pragmatique que n’a pas la connaissance de la réalité authentique.

Les sociologues russes des années 1870, qui critiquaient le naturalisme dans les sciences sociales, appliquaient en sociologie la méthode subjective et s’attiraient de ce fait les sarcasmes des marxistes, ces derniers se considérant, bien qu’à tort, comme des objectivistes [1]. Le point de vue de classe implique lui aussi une méthode subjective en sociologie. Les « subjectivistes » russes dans le domaine de la sociologie étaient incapables de donner à leur point de vue un fondement philosophique, parce que c’étaient des positivistes, le positivisme occupant à cette époque une position dominante. Mais dans la méthode subjective en matière de sociologie, il y avait incontestablement une vérité. Plus que cela : on pouvait appliquer la méthode subjective dans le domaine de la philosophie en général. La philosophie existentielle est une méthode subjective dans le domaine de la philosophie : elle affirme la connaissance du monde dans l’existence humaine et à travers l’existence humaine ; elle est anthropocentrique. Et c’est en vain que l’on élèverait en l’occurrence des objections en appelant cela du psychologisme. Le psychologisme reste un courant naturaliste. On pourrait avec plus de raison parler d’éthicisme ; mais cela aussi serait inexact. L’éthicisme n’est pas un point de vue pur, intégral, un point de vue spirituel et jugeant à partir des profondeurs de la spiritualité qui se révèle dans l’existence humaine. L’esprit se trouve au delà des [19] divergences habituelles entre le subjectivisme et l’objectivisme. Le jugement de valeur est la voie de connaissance des sciences dites de l’esprit ; mais ce jugement de valeur se reflète dans l’esprit et non dans la sphère de l’objectivation, qui existe non seulement dans les phénomènes de la nature, mais aussi dans les phénomènes psychiques et sociaux. Le monde historique, ou plutôt les mondes historiques qui sont connaissables à partir de l’objet ont déjà affaire à l’objectivation. La véritable philosophie de l’histoire, libérée de l’objectivation, est messianique et prophétique, c’est-à-dire spirituelle. C’est dans la connaissance spirituelle, connaissance existentielle à partir des profondeurs, que se révèlent la Vérité et le Sens. La connaissance objective, elle, connaît uniquement le royaume de César ; elle ne connaît pas le royaume de l’Esprit.

Il se pose une question aiguë, extrême : existe-t-il une réalité authentique, autre que celle des objets, une réalité non-illusoire, non-fictive ? Evidemment, une telle réalité existe ; mais elle n’est ni « objective », ni « subjective » dans le mauvais sens du terme : elle est au delà de la séparation déjà seconde en sujet et objet et de l’opposition de ceux-ci. En employant la terminologie hindoue, on dirait qu’elle est atman et brahman. Tout présuppose l’existence de cette réalité, sans laquelle nous serions plongés dans le règne de l’illusion et soumis aux faits de « l’objectivation », au pouvoir fantomatique du monde des objets. Ce serait là précisément un subjectivisme dans le mauvais sens du terme. Dans une grande mesure, nous vivons dans un monde « objectif » illusoire, créé par une orientation fausse du sujet, qui s’est trouvé asservi à la nécessité objective. Toutes les religions ont lutté contre cet asservissement ; mais par la suite elles ont créé elles-mêmes un nouvel esclavage de l’objectivation. A la base de la philosophie — qui appartient au royaume de l’Esprit et non au royaume de César — il y a une expérience vécue d’ordre spirituel et religieux, et non [20] seulement l’expérience de Kierkegaard et de Nietzsche, comme le voudrait Jaspers. Je ne nie d’ailleurs nullement l’importance énorme de Kierkegaard et de Nietzsche.

Les existentialistes de nouvelle formation pourraient dire que mon point de vue philosophique présuppose le mythe de Dieu et le mythe de l’Esprit. Que l’on appelle cela mythe si l’on veut. Je m’en soucie fort peu. Il s’agit du plus universel et du plus intégral des mythes. Mais voici ce qui est le plus important : ce mythe est également le mythe de l’existence de la Vérité, sans lequel il est difficile de parler de la vérité de quoi que ce soit, non seulement de la Vérité, mais des vérités. Il n’est pas possible, et d’ailleurs inutile, de démontrer la réalité du mythe de Dieu, de l’Esprit, de la Vérité. C’est là une question de choix final lié à la liberté. J’ai le droit de me considérer comme existentialiste, bien que je pourrais dans une plus grande mesure appeler ma philosophie : philosophie de l’esprit, et mieux encore : philosophie eschatologique. Mais voici en quoi je diffère radicalement des existentialistes d’aujourd’hui. Eux considèrent que l’homme affirme sa dignité en acceptant sans aucune crainte la mort, en tant que vérité suprême. L’homme vit pour mourir ; sa vie est une préparation à la mort. Déjà Freud considérait l’instinct de la mort comme le plus noble instinct de l’homme, qu’il concevait comme un être extrêmement vil. Heidegger voit en fait dans la mort le seul triomphe réel sur le vil das Man ; c’est-à-dire qu’il y voit une profondeur plus grande que dans la vie. L’homme est un être fini ; l’infini ne se révèle pas en lui et la mort fait partie de sa structure. Sartre et Simone de Beauvoir sont prêts à découvrir dans la mort des qualités positives. Ce courant contemporain m’apparaît comme une défaite de l’esprit, comme une expression de décadence, comme une divinisation de la mort. Sans aucun doute, la dignité de l’homme se manifeste dans l’absence de crainte devant la mort, dans l’acceptation libre [21] de la mort au sein de ce monde, mais pour la victoire définitive sur la mort, pour la lutte contre le triomphe de la mort. Toutes les religions ont lutté contre la mort. Et le christianisme est par excellence la religion de la résurrection. À la tendance actuelle, qui voit dans le triomphe de la mort le dernier mot de la vie, il faut opposer les idées très russes de N. Feodorov [2], grand promoteur de la lutte contre la mort, qui affirmait non seulement la résurrection, mais la résurrection active. Les existentialistes sont supérieurs aux marxistes parce qu’au moins pour eux le problème de la mort se pose, alors qu’il ne se pose pas pour les marxistes. Pour ces derniers, l’immersion dans la collectivité et l’activité au sein de celle-ci suppriment le problème de la mort. Mais si pitoyable que soit cette solution, il n’y a pas chez eux de divinisation de la mort. S’il n’y a pas de résurrection pour la vie éternelle de tous ceux qui ont vécu, s’il n’y a pas d’immortalité, alors le monde est absurde et dénué de sens. Les existentialistes d’aujourd’hui voient cette absurdité et ce non-sens du monde. Sartre veut trouver une issue dans la reconnaissance de la liberté de l’homme, non-déterminée par la nature de ce dernier. L’homme est un être vil ; mais [22] par la liberté il peut se créer différent ; il peut créer un monde meilleur. Cela devrait contraindre Sartre à reconnaître dans l’homme un principe idéal, spirituel. Sans la reconnaissance de ce principe, les existentialistes doivent tomber dans le matérialisme, fût-il raffiné. On pourrait tracer un parallèle entre les idées de Sartre, Camus et autres et l’humanisme tragique de Herzen [3], pour lequel le monde représentait un fait du hasard, dénué de sens, mais l’homme était un être libre, capable de créer un monde meilleur. Toutefois chez Herzen, comme plus tard chez Nietzsche, il y avait une souffrance religieuse que l’on n’observe pas chez les existentialistes de la dernière formation. Il y a une vérité plus profonde dans l’idée que le monde n’est pas dénué de sens et absurde, mais se trouve dans un état de non-sens. Ce monde, le monde qui nous apparaît, est un monde déchu, où triomphe la mort absurde et dépourvue de sens. Un autre monde, monde du sens et de la liberté, ne peut se révéler que dans l’expérience spirituelle, que rejettent les existentialistes d’aujourd’hui. Il faut voir l’absurdité et le non-sens du monde dans lequel nous vivons et en même temps croire [23] à l’esprit, auquel est liée la liberté, et au sens, qui vaincra le non-sens et transfigurera le monde. Ce sera le triomphe du royaume de l’Esprit sur le royaume de César, le triomphe de la Vérité non seulement sur le mensonge mais aussi sur les vérités partielles, fragmentaires qui visent à jouer un rôle dominant.

Il n’y a rien de plus haut que la recherche de la Vérité et l’amour de la Vérité. La Vérité, la Vérité unique, intégrale, c’est Dieu, et la connaissance de la Vérité est une pénétration dans la vie divine. La substitution à la Vérité unique, intégrale, libératrice, de petites vérités particulières, prétendant à une signification universelle, mène à l’idolâtrie et à l’esclavage. C’est sur cette base que naît le scientisme, lequel n’est pas du tout la science. Toutes les vérités partielles impliquent une participation, fût-elle inconsciente, à la Vérité unique, suprême. La connaissance de la Vérité ne peut pas être une connaissance uniquement humaine ; mais elle ne peut pas être non plus une connaissance uniquement divine, comme par exemple dans l’idéalisme moniste de Hegel. Elle ne peut être qu’une connaissance divino-humaine. La connaissance de la Vérité est une activité créatrice de l’homme, qui porte en lui l’image et la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire contient un élément divin. Cet élément divin est l’Autrui de Dieu. La connaissance de la Vérité à laquelle aspire la philosophie est impossible par l’intermédiaire de la raison abstraite, qui opère à l’aide de concepts ; elle n’est possible que par l’intermédiaire de la raison spirituellement intégrale, par l’intermédiaire de l’esprit et de l’expérience spirituelle. La pensée de l’Europe occidentale se débat dans les contradictions du rationalisme et de l’irrationalisme, qui représentent tous les deux les conséquences de la rupture de l’intégrité spirituelle. La philosophie existentielle se débat elle aussi dans ces contradictions. On le constate surtout chez Jaspers. On en arrive à établir que la connaissance philosophique doit être existentielle, [24] mais qu’elle est impossible parce que l’intelligence connaissante est incapable de connaître une existence, laquelle ne peut jamais être un objet. Mais, la connaissance de l’existence en dehors de l’objectivation est possible par l’intermédiaire de l’Esprit. Une connaissance spirituelle est possible, et, aux sommets, une telle connaissance a toujours existé. On la trouvait déjà dans l’Inde ancienne. La connaissance spirituelle est une connaissance divino-humaine, une connaissance par l’intermédiaire non de la raison ou du sentiment, mais de l’Esprit intégral. La négation de la connaissance divino-humaine de la Vérité amène à substituer à la Vérité l’utilité, l’intérêt, la volonté de puissance. La connaissance de la Vérité est transfiguration, illumination du monde et non une connaissance abstraite ; la théorie et la pratique y coïncident.

Il y a dans l’homme un principe actif, auquel se trouve liée la connaissance. Ce principe actif est un principe spirituel. La connaissance inclut un élément théurgique. Et c’est pourquoi l’homme peut préparer le royaume de l’Esprit et non seulement le royaume de César. Lorsque, dans le passé, les philosophes parlaient d’idées innées, ils ne faisaient que mal exprimer — à cause du caractère statique de leur pensée — la vérité concernant l’esprit actif dans l’homme et dans la connaissance humaine. Si l’on n’admet pas cette activité de l’esprit dans l’homme, on ne peut rien comprendre à ce dernier ; on ne peut même pas admettre la possibilité de son existence. Il est frappant de constater que l’homme n’est pas à tel point écrasé par le mauvais infini du monde qu’il s’en trouve privé de la possibilité de connaître la Vérité. Mais ni la raison, ni l’entendement ne sont capables de découvrir la possibilité de connaissance de la vérité : c’est là le fait de l’esprit seul. En grec « noûs » signifie non seulement l’intellect, mais aussi l’esprit. L’esprit ne se trouve pas dans l’opposition du rationnel et de l’irrationnel. La philosophie existentielle authentique est la philosophie de l’esprit.

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La philosophie contemporaine a tendance à nier le dualisme des deux mondes : monde nouménal et monde phénoménal, qui remonte à Platon. Cette tendance n’est pas nouvelle : elle est propre au phénoménalisme, à l’empirisme, au positivisme, au monisme immanentiste, au matérialisme ; elle est propre à Nietzsche, aux existentialistes contemporains et à beaucoup d’autres courants. A présent cette tendance prend des formes plus raffinées. Je crois que nous avons là l’opposition fondamentale entre les deux types de philosophie : celle qui se contente du monde donné et celle qui le transcende. Mais que peut signifier le dualisme de deux mondes et comment concilier avec ce dualisme la connaissance scientifique ? Avant tout, il faut entièrement écarter tout dualisme ontologique et tout emploi de la notion statique de substance. Il ne s’agit nullement du dualisme de l’esprit et de la matière, de l’esprit et du corps, que nous trouvons dans les courants spiritualistes d’école. La question qui se pose porte sur deux états du monde, qui correspondent à deux structures différentes et à deux orientations de la conscience. Il s’agit avant tout du dualisme de la liberté et de la nécessité, de l’unité intérieure et de la désunion et hostilité, du sens et du non-sens. Nous vivons dans le monde de la nécessité, de la désunion et de l’hostilité, de l’absurde et du non-sens. Mais le monde ne se réduit pas à cet état, qui est un état de déchéance. Un autre état est possible, qui exige une autre conscience. D’ailleurs, il n’y a pas de raison pour affirmer qu’il n’y a qu’un seul monde. Le plus important est de prendre conscience du fait que l’esprit n’est nullement une réalité pouvant être mise sur le même plan que les autres réalités, par exemple la réalité de la matière. L’esprit est une réalité dans un tout autre sens : il est liberté, et non pas être ; il est transformation qualitative du monde donné, énergie créatrice transfigurant le monde. En outre, il faut dire qu’il n’y a pas d’esprit sans Dieu en tant que source [26] première. L’expérience spirituelle de l’homme, qui, seule, peut servir de fondement à une métaphysique, est l’unique preuve de l’existence de Dieu. Le monde de la nécessité, de l’aliénation, de l’absurde, de la finitude, de l’hostilité est le monde de la conscience rétrécie, rejetée à la surface, de la conscience à laquelle l’infini est fermé. Il y a d’autres plans de vie universelle qui ne peuvent se révéler qu’à une conscience transformée. En cela, les occultistes ont raison. Le monde, le monde unique de Dieu, comprend plusieurs plans. Mais comment concilier avec cela la possibilité de la connaissance scientifique ? Cela ne crée pas de difficultés à la science dans le sens précis de ce terme et ne provoque aucun conflit. La science appréhende le monde réel dans l’état où il se trouve et elle n’est pas responsable de l’état de déchéance de ce monde. La science cherche la vérité et elle reflète le Logos. Mais elle a ses limites, et il y a des problèmes que non seulement elle ne peut pas résoudre, mais même poser. Le conflit est la conséquence des prétentions abusives de la science, qui voudrait régir la vie humaine et qui se croit capable de résoudre avec autorité les problèmes de religion, de philosophie, de morale, ainsi que de donner des directives en ce qui concerne l’élaboration de la culture spirituelle. C’est cela en effet qui provoque le conflit et non la science exacte. Aucune science ne peut affirmer quoi que ce soit quant à l’existence ou la non-existence d’autres mondes. Si la science nie les autres mondes, c’est uniquement parce que le savant, occupé exclusivement de ce monde qui lui est donné, n’a pas la liberté d’esprit nécessaire pour reconnaître l’existence d’autres plans du monde. Le scientisme prêche l’asservissement au monde. Il faut dire que par ailleurs la théologie préoccupée d’orthodoxie estime nécessaire, elle aussi, de nier l’existence de plans multiples du monde et prêche également l’asservissement au monde. L’enseignement d’Origène concernant la multiplicité du monde fut condamné. Cette façon de [27] voir procède du même esprit. De cette manière, la vérité fragmentaire se présente comme la Vérité unique, alors que celle-ci ne se révèle qu’à une conscience sans cesse élargie et approfondie, c’est-à-dire à la croissance spirituelle. Le monde donné, ce monde-ci, est fragmentaire, comme est fragmentaire une journée de notre vie.

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[1] N. Mikhaïlovsky et P. Lavrov.

[2] La pensée de Nicolas F. Feodorov, modeste bibliothécaire du musée Roumiantsev, ne fut connue de son vivant (1828-1903) que d’un petit cercle d’amis. Mais, elle exerça sur des hommes comme Dostoïevski et V. Soloviev une influence déterminante. Après sa mort et la publication de ses écrits sous le titre général : L’œuvre commune, Feodorov fut définitivement reconnu comme un des plus grands penseurs russes et celui qui développa le plus complètement l’idée centrale du christianisme russe : celle de la transfiguration du monde. C’est dans cette transfiguration, sur le plan matériel comme sur le plan spirituel, qu’il voyait le but de l’œuvre commune à accomplir par les hommes (œuvre où la science et la technique occupent une grande place, notamment dans la lutte contre la mort et la préparation de la résurrection finale). (Note du traducteur).

[3] Alexandre Herzen (1812-1870) fut une des figures les plus importantes de la pensée et des lettres russes du XIXe siècle. Sans être à proprement parler un philosophe, il exerça une grande influence par ses pénétrantes analyses de la réalité de son temps et ses réflexions sur les destinées de la Russie et de l’Occident, ainsi que quelques nouvelles et romans. Emigré en 1847 à Paris, il se lia notamment avec Proudhon, avec lequel il édita pendant quelques temps l’Ami du Peuple. Mais sa pensée, son aversion pour l’esprit bourgeois et son amour passionné du peuple russe ne pouvaient que difficilement s’accommoder des tendances dominantes de l’époque. (cf. notamment sa réponse à Michelet : Le peuple russe et le socialisme). En 1857, il fonda à Londres la revue Kolokol (« La Cloche ») et une maison d’édition dont les publications passaient clandestinement en Russie. Son recueil d’essais le plus fameux : De l’autre rive, a été traduit en français et publié à Genève en 1870 (Note du traducteur).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 13 août 2018 8:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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