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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Nicolas Berdiaeff [1874-1948], Esprit et liberté. Essai de philosophie chrétienne. (1933)
Préface à l'édition française


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Nicolas Berdiaeff [1874-1948], Esprit et liberté. Essai de philosophie chrétienne. Traduit du Russe par I.P. et H.M. Paris: Les Éditions «Je sers», 1933, 379 pp. Collection: “Écrivains religieux étrangers.” Une édition numérique réalisée par un bénévole qui souhaite conserver l'anonymat sous le pseudonyme “Antisthène”, un ingénieur à la retraite de Villeneuve sur Cher, en France.

[9]

ESPRIT ET LIBERTÉ
Essai de philosophie chrétienne
.

Préface à l'édition française


En relisant la traduction de cet ouvrage, écrit il y a près de huit ans, j’ai senti que certains malentendus pouvaient naître dans l’esprit du lecteur français, et j’ai pensé qu’il était utile, en guise de préface, de donner ici quelques éclaircissements.

Il est d’abord malaisé de rendre les catégories de la pensée religieuse et philosophique russe, dans cette langue intellectualisée qu’est la langue française. En outre, les problèmes eux-mêmes se posent d’une manière différente ; des divergences existent, non seulement dans la construction et dans la terminologie des deux langues, mais aussi dans les traditions religieuses et les écoles philosophiques. Les problèmes qui semblent avoir une importance fondamentale pour la philosophie religieuse russe, et autour desquels une lutte fut soutenue pendant des décades, peuvent paraître insignifiants pour la conscience française et lui rester étrangers. Un seul et même mot peut recevoir les interprétations les plus diverses.

Du point de vue philosophique je suis rattaché à la philosophie allemande, et même quand je lutte contre son idéalisme et que je m’efforce à le surmonter, je conserve souvent, cependant, sa terminologie et sa manière de poser les problèmes. Or, la pensée philosophique allemande est toujours difficile à traduire en français. Encore plus lointaine, parce que totalement inconnue, doit paraître la philosophie religieuse russe qui possède déjà sa propre tradition.

Je ne puis pas dire que tout, dans ce livre, me donne satisfaction. J’aurais, actuellement, exprimé certaines idées différemment et avec plus de précision. L’ouvrage que je viens de terminer : De la Destination de l’homme, et qui n’est pas encore édité en langue française, traduit peut-être mieux ma conception du monde, mais il est impossible de reprendre une [10] œuvre qui est une exposition complète de tout un système et qui reflète une expérience spirituelle. Je ne voudrais pas que ce livre soit compris comme une opposition radicale du christianisme oriental au christianisme occidental, cela ne correspondrait pas à mon état d’esprit œcuménique. Mais il était indispensable de révéler le caractère de la pensée chrétienne russe.

Je crois profondément à l’existence d’une unique spiritualité chrétienne et attend d’elle une renaissance. L’élément rationaliste et juridique de la théologie catholique et de l’organisation de l’église romaine m’est étranger et je lui oppose une autre formation spirituelle, mais je sais quelle diversité, quelle richesse et quelle complexité comporte le monde catholique et j’aime et apprécie la vie spirituelle même du catholicisme. En ce qui concerne le protestantisme, je me serais attaché aujourd’hui à préciser davantage mon attitude envers le barthianisme.

Ma philosophie appartient au type de la philosophie de l’existence (Existenzphilosophie). Ma conception philosophique du monde se distingue essentiellement de celle de Heidegger et de Jaspers et fut élaborée en dehors de tous les courants dont l’origine remonte à Kierkegaard. Mais j’ai toujours cru que la philosophie ne pouvait être qu’une philosophie de l’existence humaine, qui elle, n’appartient pas au monde des objets. Il y avait dans la pensée russe une tendance à élaborer une philosophie de l’existentiel ; elle était orientée vers l’être concret, vers l’existant. Toutefois comme il s’agit ici d’une philosophie de la religion et non pas d’une théorie de la connaissance ni d’une métaphysique, je préfère y employer le terme « vie », qui appartient à l’Evangile et qui est lié à la spiritualité, que le terme « existence ». On donne parfois au mot « vie » un sens biologique, et nous le trouvons même chez Bergson et Nietzsche, mais la philosophie de la vie a, pour moi, une source et une nourriture religieuse. Aussi se distingue-t-elle radicalement de celle que professent les penseurs contemporains, tout en ayant avec elle une ressemblance formelle. Je considère que le problème central est le problème religieux de l’homme, celui de l’anthropologie religieuse qui n’est pas posé, par exemple, chez Heidegger.

Il y a une différence considérable entre les courants [11] de la pensée chrétienne russe, issue du XIXe siècle, et les courants de la pensée occidentale européenne, à la fois catholique et protestante. La pensée chrétienne de l’Occident, qui s’était éloignée des sources originelles et qui était passée par l’époque d’une création humaniste, veut retourner à ces sources. Le thomisme revient à la pensée catholique du Moyen âge et à son plus pur représentant, saint Thomas ; le barthianisme aux sources de la Réforme, à Luther et à Calvin. Le christianisme russe s’est toujours maintenu près de ses sources primitives, on n’y sentait pas la nécessité d’un retour aux origines. Le réveil de la pensée chrétienne russe des XIXe et XXe siècles a soulevé le problème d’un mouvement créateur dans le christianisme. Ce problème religieux de l’acte créateur de l’homme est posé avec plus d’acuité par la pensée russe, que par la pensée de l’Occident, où la renaissance humaniste se trouvait orientée vers l’avenir et la renaissance chrétienne vers le passé.

Dans la pensée chrétienne russe il n’y a pas de « modernisme » au sens catholique et protestant du mot. Le « nouveau » dans le christianisme revêtait plutôt un caractère pneumatique et mystique, qu’un caractère humaniste scientifique ou social, il est important d’en tenir compte si l’on veut saisir le caractère même de cet ouvrage.

N. BERDIAEFF,

[12]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 24 avril 2017 18:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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