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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les idées et les âges. (1927)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alain (Émile Chartier), Les idées et les âges (1927). Paris: Le Club du meilleur livre, 1961, 454 pages. Collection Essais. Ouvrage originalement publié par les Éditions Gallimard, 1927 (en 2 volumes) et 1948 (en 1 volume).Une édition électronique réalisée par M. Marcelle Bergeron, bénévole.

Avant-propos:

J’ai lu bien des fois, dans Homère, le conte de Protée, aussi ancien que les hommes. Et souvent je me le répétais à moi-même, sur le rivage de la mer sans moissons, ramené sans doute par cette odeur des algues, et par ces rochers qu’on dirait couchés dans le sable comme des phoques. Soutenant le conte par les choses mêmes, comme on fait toujours, mais attentif aussi, selon une règle secrète, à ne rien changer de cet étrange récit, comme si tout y était vrai sans aucune faute. J’imaginais donc le troupeau des phoques, et les héros grecs couchés sous des peaux de phoques et remplis de l’odeur marine. Mais Protée ne paraissait point. Je me racontais comment ils le saisirent, et comment il fit voir toutes ses ruses, devenant lion, panthère, arbre, feu, eau. Je l’avais devant les yeux cette eau qui prend toutes couleurs et toutes formes, et n’en garde aucune, mais qui nous dit aussi toute vérité dès que, par attention vive, nous la percevons comme elle est. Je m’éveillai de ce conte, tenant une grande idée, mais trop riche aussi de ce monde tout changeant et tourbillonnant à l’image de l’eau trop parlante.

Qu’avais-je demandé? Non point, comme le héros grec, le retour au lieu de mon départ, les chemins à suivre, et les malheurs accomplis que j’y trouverais, Égisthe, Clytemnestre, Oreste, et le tombeau d’Agamemnon ; l’avenir vient toujours assez tôt. Mais faisant retour d’un long voyage, et après beaucoup de temps perdu, j’avais demandé, comme ce Pilate qui tua l’esprit et le tue toujours : « Qu’est-ce que la vérité ? » Or, Protée marin avait repris forme, qui est aussi la fausse, et j’entendais bien sa réponse double.

« La vérité, disait-il, est tout ce qui est. Tout ce qui est est vrai, et ce qui n’est pas n’est rien. Tu ne sortiras pas de cette pensée. Tout ce que tu cherches, tu l’as. Ce que tu n’as pas n’est rien. Comme sont vrais les moindres filets de l’eau, tous les courants, tous les balancements que tu vois, chacun d’eux éternel, puisque ce qui est vrai ne cesse jamais d’être vrai, puisque ce qui est vrai a toujours été vrai. »

« La vérité, disait-il, n’est pas ; car tout change sans cesse, et même ce rivage. Ce sable est fait de ces rochers, qui s’écoulent comme de l’eau, quoique plus lentement. Fausse toute pensée qui ne se modèle point sur la chose ; mais fausse absolument toute pensée, puisque ce qui était n’est déjà plus. Tu ne peux penser l’âge vrai que tu as ; cette pensée, parce qu’elle est vraie, est déjà fausse. De même toute pensée se nie et se refuse, à l’image de cette eau mouvante qui est mon être, et qui nie continuellement sa propre forme. »

Ainsi chantait la mer. Et Protée était véritable, dans sa vraie et constante figure qui est toujours autre, et en me trompant ne me trompait point, puisque cette fois, et par ma demande, c’était lui-même qu’il disait.

Retour au livre de l'auteur: Alain (Émile Chartier) Dernière mise à jour de cette page le Samedi 02 novembre 2002 14:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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